Un voyage de trois jours à Shenzhen révèle une réalité chinoise bien différente des idées reçues occidentales. Loin de l’image d’une dictature centralisée, la Chine apparaît comme un pays profondément capitaliste et décentralisé, où l’innovation technologique rivalise désormais avec les standards mondiaux.
De la croissance ricardienne à l’innovation schumpétérienne
Depuis 2018, l’analyse économique de la Chine reposait sur le concept de croissance ricardienne : développer son économie en occupant les espaces disponibles et en adaptant les recettes éprouvées à l’étranger. Cette approche expliquait le déplacement de 300 millions de Chinois des campagnes vers les villes entre 2000 et 2020, ainsi que les transferts technologiques massifs.
Cependant, cette croissance ricardienne atteint ses limites lorsqu’un pays a rattrapé son retard. Pour poursuivre sa progression, il doit alors passer à une croissance schumpétérienne, basée sur l’innovation. Ce passage nécessite une dose de chaos social et une remise en question de l’ordre établi, incompatibles avec un système dictatorial classique.
L’innovation technologique chinoise en action
La visite des magasins Huawei illustre parfaitement cette transition. Un même système d’exploitation gère téléphones, écrans, montres connectées et voitures. Les smartphones pliables à trois volets transforment littéralement une tablette au format téléphone, démontrant une avancée technologique remarquable.
Les voitures électriques chinoises impressionnent par leurs innovations. La NIO ET9 propose des suspensions indépendantes sur quatre roues offrant un confort exceptionnel, avec des sièges reproduisant l’expérience cinéma 4DX. L’assistant IA Nomi, basé sur le LLM Quen d’Alibaba, équipe ces véhicules connectés directement au système de signalisation urbaine de Shenzhen.
Le témoignage du PDG de Ford confirme cette avance technologique : « C’est la chose la plus humiliante que j’ai vue. 70 % des véhicules électriques mondiaux sont faits en Chine. Ils ont une technologie embarquée bien supérieure. Une fois à bord, votre vie numérique se reflète automatiquement dans la voiture sans jumelage. »
Les trois valeurs fondamentales chinoises
Trois valeurs structurent la société chinoise contemporaine. La prospérité constitue la première priorité, car sans croissance économique, rien n’est possible. La famille représente la deuxième valeur, impliquant assistance et respect mutuels. Enfin, le respect du groupe et du pays prime sur l’individu.
Cette hiérarchisation explique pourquoi identifier le dirigeant d’un groupe chinois reste difficile. Les responsables préfèrent rester en retrait, considérant que le sujet n’est pas leur personne mais le groupe qu’ils représentent.
Une conception différente des conflits d’intérêts
La notion occidentale de conflit d’intérêts n’existe pas en Chine, ou s’exprime radicalement différemment. Être corrompu peut coûter la vie, car cela revient à voler le groupe. En revanche, avoir des intérêts dans différentes parties d’un même projet n’est pas problématique, pourvu que cela serve la création de valeur pour la société.
Cette approche explique pourquoi distinguer les intérêts économiques privés des structures politiques locales reste complexe. Les communes n’hésitent pas à prendre des participations dans les entreprises qu’elles accueillent, créant un partenariat symbiotique entre pouvoir politique et économique.
Une structure de pouvoir décentralisée dans les faits
Contrairement aux apparences, la Chine fonctionne avec une décentralisation opérationnelle importante. Bien que la ligne du parti reste unique, diriger 1,5 milliard d’habitants nécessite une latitude d’interprétation considérable. Les entrepreneurs peuvent choisir la communauté politique locale la plus adaptée à leurs projets.
Cette liberté s’exprime selon un dicton local : « Il n’y a pas plus libre que celui qui comprend comment il est opprimé. » Connaître les règles permet de repousser les limites, tant que l’on maintient des relations avec les responsables politiques locaux et que les résultats économiques suivent.
L’empire du milieu face au commerce mondial
La Chine génère 1400 milliards de dollars d’excédents commerciaux annuels, créant un déséquilibre majeur. Théoriquement, le yuan devrait remonter pour rééquilibrer les échanges. Cependant, la mentalité chinoise suggère un scénario différent.
Pour les Chinois, leur pays reste « l’empire du milieu », le centre du monde avec 5000 ans d’histoire. Cette perspective explique leur préférence pour l’autosuffisance plutôt que l’interdépendance commerciale. L’histoire de l’amiral Zheng He, qui dirigea entre 1405 et 1433 des expéditions maritimes massives avant que l’empereur décide de brûler la flotte, illustre cette mentalité.
Les implications pour l’Occident
La Chine a financé son développement par l’épargne de sa population plutôt que par l’endettement extérieur. Cette approche, impliquant des sacrifices considérables, lui confère une indépendance financière remarquable. Face aux menaces commerciales américaines, représentant seulement 17 % de leurs importations, les dirigeants chinois répondent simplement : « OK, tant pis, salut. »
Cette situation suggère que le yuan ne remontera probablement pas, obligeant l’Occident à repenser ses relations commerciales avec la Chine. L’équilibrage des échanges à l’instant T et l’arrêt des achats à crédit deviennent nécessaires pour éviter de creuser davantage le déséquilibre.
Source : Grand Angle