Le 4 octobre 2022, Alain Aspect, John Clauser et Anton Zeilinger ont été récompensés par le prix Nobel de physique pour leurs découvertes stupéfiantes démontrant que l’univers n’est pas localement réel. Cette histoire est fascinante, car elle implique certains des esprits les plus brillants de notre époque et met en lumière comment Einstein, souvent perçu comme infaillible, s’est avéré avoir tort.
L’univers est-il réel ?
Le concept d’un univers localement réel repose sur deux idées : la localité et la réalité. La localité signifie que les événements ne peuvent être influencés que par leur environnement immédiat. Autrement dit, rien ne peut affecter instantanément quelque chose d’autre à des centaines de millions de kilomètres de distance, puisque rien ne peut voyager plus vite que la lumière.
La réalité, en revanche, est plus complexe. Elle stipule que les particules ont des propriétés définies, qu’elles soient observées ou non. Par exemple, un arbre qui tombe dans une forêt émet bien un son, même en l’absence de témoin. C’est cette notion de réalité qui est remise en question par des groupes de scientifiques menés par des figures comme Niels Bohr. Pour ces anti-réalistes, les particules n’adoptent une propriété définie que lorsqu’elles sont mesurées.
Le problème d’Einstein avec la mécanique quantique
Dans les années 1930, une controverse est née entre les réalistes et les anti-réalistes. Einstein, Podolsky et Rosen, dans un article célèbre appelé le « papier EPR », ont présenté un argument visant à démontrer que la mécanique quantique, du moins telle qu’elle était comprise à l’époque, était soit incomplète, soit fondamentalement incorrecte.
Leur expérience de pensée se concentrait sur l’idée de l’entrelacement quantique, où les propriétés de deux particules sont intrinsèquement liées. Prenons deux particules qui proviennent de la même source. Si l’on mesure l’une et découvre qu’elle se déplace à droite, alors l’autre doit se déplacer à gauche pour conserver la quantité de mouvement.
Einstein a soutenu que si les états de ces particules ne se définissent qu’au moment de la mesure, alors cela impliquerait une communication instantanée entre les particules, ce qui violerait la localité. Il a donc postulé l’existence de variables cachées, des informations inconnues mais préexistantes dès la création de ces particules.
La recherche de la preuve quantique
Pendant près de 30 ans, les physiciens étaient divisés entre les partisans des théories d’Einstein et ceux des anti-réalistes, faute de contre-arguments théoriques ou expérimentaux solides au papier EPR. Cela a duré jusqu’en 1964, lorsque le physicien irlandais John Bell a introduit ses propres théorèmes de non-localité, permettant de tester expérimentalement la validité des hypothèses de la mécanique quantique.
La première expérience réussie
Ces théorèmes, baptisés inégalités de Bell, ont été mis à l’épreuve par John Clauser en 1972. Clauser, avec d’autres collaborateurs, a mis en place une expérience pour vérifier ces inégalités. Deux photons entrelacés ont été envoyés en directions opposées vers deux observateurs éloignés, appelés Alice et Bob. Par de nombreuses mesures et de configurations aléatoires de polarisation, Clauser a montré que les observateurs avaient un taux de coïncidence plus élevé que ce que la réalité locale aurait prédit, confirmant ainsi les prédictions quantiques.
Et maintenant ?
La découverte des trois lauréats du prix Nobel marque un tournant dans notre compréhension de l’univers. Elle démontre que les particules entrelacées sont encore connectées d’une manière qui défie notre intuition. Ces implications sont essentielles pour le développement des technologies quantiques, notamment l’informatique quantique.
Il est important de noter que bien que fascinante, cette découverte ne permet pas la communication plus rapide que la lumière. L’intrication quantique repose sur une génération et une mesure aléatoires, interdisant toute transmission d’information exploitant cette propriété.
En fin de compte, cette découverte maintient l’héritage d’Einstein : la vitesse de la lumière reste une limite fondamentale dans notre univers. Et cela est probablement suffisant pour satisfaire Einstein.
Source : Dr Ben Miles