Et si, demain, un pays pouvait faire pleuvoir à sa guise… ou empêcher ses voisins d’avoir de l’eau ? Si la météo devenait une ressource stratégique ? Un outil militaire, diplomatique, économique ? C’est le scénario que dessine Marine de Guglielmo Weber dans son essai percutant Géopolitique des nuages, publié début 2025. Cette chercheuse à l’IRSEM (Institut de recherche stratégique de l’École militaire) y dévoile les dessous d’un monde en pleine mutation : celui où les nations tentent de prendre le contrôle du climat.
Plus qu’un livre, une alerte sur une transformation silencieuse, mais colossale : l’appropriation technologique de l’atmosphère terrestre.
Le rêve ancien de manipuler le ciel
Depuis des siècles, l’humanité rêve d’influencer la météo. Mais c’est au XXe siècle que ce fantasme devient réalité. Dès les années 1950, les premières expériences d’ensemencement des nuages sont menées aux États-Unis. L’idée : injecter dans les nuages des particules d’argent ou de sel pour déclencher artificiellement des pluies. Ce procédé est rapidement adopté dans un but agricole, mais aussi militaire.
Pendant la guerre du Vietnam, les Américains lancent l’opération Popeye, visant à prolonger la mousson pour rendre les routes impraticables à l’ennemi. L’objectif est simple : transformer la météo en arme. Le scandale provoqué par cette révélation aboutira à la Convention ENMOD (1977), interdisant l’usage hostile de techniques de modification de l’environnement.
Mais cette parenthèse diplomatique n’a pas mis fin aux ambitions climatiques des grandes puissances. Au contraire, elles se sont diversifiées, sophistiquées… et surtout, privatisées.
Une nouvelle course technologique, aux conséquences planétaires
Aujourd’hui, plus de 50 pays expérimentent ou utilisent des techniques de modification du temps. Chine, Inde, Émirats arabes unis, Russie, États-Unis… tous investissent dans des programmes plus ou moins secrets. L’exemple le plus spectaculaire est celui du projet chinois Sky River, lancé en 2016 : plusieurs centaines de générateurs déployés sur le plateau tibétain pour provoquer artificiellement des précipitations dans les régions arides du nord de la Chine. Une ambition titanesque… mais qui pourrait avoir des effets sur les pays voisins, en aval des grands fleuves himalayens, comme l’Inde, le Bangladesh ou le Vietnam.
La question centrale posée par Marine de Guglielmo Weber est simple : peut-on modifier la météo localement sans perturber les équilibres climatiques régionaux et internationaux ? Et qui décide des usages, des limites, des responsabilités ? Rien, aujourd’hui, n’encadre juridiquement ces pratiques.
L’atmosphère, bien commun de l’humanité, devient une zone grise du droit international. Une zone où les rivalités de puissance peuvent s’exprimer sans régulation claire.
🗣️ « Modifier le climat, c’est intervenir sur une infrastructure invisible et commune à toute l’humanité : l’atmosphère. Cela revient à agir sans permission sur le territoire des autres. »
— Marine de Guglielmo Weber, Géopolitique des nuages
De la guerre climatique au business du climat
Mais la géopolitique des nuages ne se limite pas aux États. Depuis quelques années, un nouveau marché émerge : celui des services climatiques. Certaines entreprises proposent déjà de faire tomber la pluie sur commande, d’empêcher la grêle ou de calmer des tempêtes. Le tout, bien sûr, moyennant finance. Dans un monde où les extrêmes climatiques deviennent plus fréquents, cette offre trouve preneur : agriculteurs, compagnies d’assurance, organisateurs d’événements ou gouvernements locaux.
Cette marchandisation de la météo pose une autre série de questions : le climat va-t-il devenir un produit comme un autre ? Un outil de domination économique réservé aux plus riches ? Une ressource privatisée par des multinationales du ciel ?
Le livre analyse en profondeur ce basculement, à la croisée des logiques néolibérales, des intérêts stratégiques et des promesses technologiques. Il montre que derrière les discours sur la « lutte contre le changement climatique », se cache parfois une volonté de contrôle, de captation, voire de monopole sur les nuages.
Une nouvelle forme de souveraineté ?
Modifier le climat, c’est aussi remettre en question la notion même de souveraineté. Car si un pays peut influencer la météo au-delà de ses frontières, que devient le droit des autres à un climat stable ? L’ouvrage montre que la maîtrise des précipitations, du rayonnement solaire ou de la captation du CO₂ peut devenir une arme douce, une forme de pouvoir invisible mais redoutable. Le tout sans satellite espion, sans troupes au sol… mais avec des conséquences bien réelles.
Ce pouvoir sur l’atmosphère, autrefois réservé aux États, se diffuse aujourd’hui dans les sphères industrielles, commerciales, voire privées. Et dans cette course à l’innovation climatique, il n’existe à ce jour aucune gouvernance mondiale efficace, aucun accord international contraignant.
Un essai essentiel pour comprendre l’avenir
Géopolitique des nuages est un ouvrage clair, rigoureux et passionnant. Il mêle histoire, stratégie, géographie et analyse critique pour éclairer un phénomène encore largement ignoré du grand public. Marine de Guglielmo Weber y démontre que le climat n’est plus seulement une question environnementale, mais une question de pouvoir.
Son livre est un appel à la vigilance : ne laissons pas le ciel devenir un terrain de jeu pour quelques-uns. L’enjeu est immense. Il concerne la souveraineté, la justice climatique, la sécurité internationale… et notre avenir commun.
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Sources:
reporterre.net
www.monde-diplomatique.fr
www.eyrolles.com
www.researchgate.net