Les tardigrades, aussi appelés « oursons d’eau », sont des micro-organismes incroyables capables de survivre dans des conditions extrêmes qui détruiraient presque toutes les autres formes de vie sur Terre. Ils peuvent résister à des températures allant de -270°C à 150°C, supporter une pression 400 fois supérieure à celle de l’atmosphère terrestre, et même survivre à une exposition prolongée à l’espace cosmique et aux radiations. Leurs capacités de survie étonnantes fascinent les scientifiques depuis des siècles, mais de récentes recherches ont enfin révélé les mécanismes biologiques derrière cette résilience exceptionnelle.
La découverte des tardigrades
Les tardigrades ont été découverts pour la première fois en 1773 par Johan Goz, un biologiste allemand. Observant au microscope un petit organisme qui se déplaçait lentement avec ses huit pattes griffues, il l’a nommé « l’ours d’eau ». Trois ans plus tard, le terme « tardigrade », qui signifie « marcheur lent » en latin, a été introduit par Lazaro Spallanzani. Depuis, ces créatures microscopiques ont captivé les scientifiques et le grand public.
L’incroyable cryptobiose
La capacité des tardigrades à survivre à des conditions mortelles repose en grande partie sur un phénomène appelé cryptobiose. Dans cet état, le métabolisme du tardigrade ralentit de façon drastique, jusqu’à atteindre 0,01 % de son taux normal. Lorsque les tardigrades sont déshydratés, ils se rétractent pour former une sorte de « boule » desséchée appelée « tonne ». Dans cet état, ils semblent morts, mais une simple réhydratation peut les ramener à la vie, même après plusieurs années.
Ce processus de cryptobiose est particulièrement remarquable car il permet aux tardigrades de résister à des dommages cellulaires causés par la déshydratation et la congélation, deux conditions qui détruisent généralement les cellules normales. Par exemple, la déshydratation extrême devrait normalement provoquer la destruction des cellules, mais les tardigrades réussissent à l’éviter grâce à des mécanismes biologiques uniques.
Les protéines des tardigrades : clé de leur survie
Une des découvertes majeures qui explique la survie des tardigrades est la présence de protéines spécifiques dans leurs cellules. Ces protéines, appelées protéines intrinsèquement désordonnées spécifiques aux tardigrades (TDPs), jouent un rôle essentiel. En cas de stress, comme la déshydratation ou les températures extrêmes, ces protéines se solidifient pour former une sorte de matrice protectrice similaire à du verre à l’intérieur des cellules. Cette structure protège les protéines et les autres composants cellulaires des dommages.
En 2017, des chercheurs de l’Université de Caroline du Nord ont réussi à insérer les gènes responsables de la production de ces protéines dans d’autres organismes, comme des levures et des bactéries. Ces organismes ont ainsi acquis la capacité de survivre à des conditions de déshydratation extrême, prouvant l’importance des TDPs dans la survie des tardigrades.
Réparation de l’ADN et résistance aux radiations
Outre leur capacité à survivre à la déshydratation et au gel, les tardigrades sont aussi capables de résister à des doses mortelles de radiations. Là encore, leur biologie joue un rôle crucial. Des études ont montré que lorsqu’ils sont exposés à des radiations, les tardigrades activent des centaines de gènes liés à la réparation de l’ADN. Deux protéines ont particulièrement attiré l’attention des chercheurs : la protéine Dsup (Damage suppressor) et la protéine TRD1.
La protéine Dsup se lie directement à l’ADN et forme une barrière protectrice qui réduit les cassures des brins d’ADN sous l’effet des radiations. De son côté, TRD1 aide à stabiliser les chromosomes lorsqu’ils sont endommagés, agissant comme une « colle » temporaire qui permet aux processus de réparation de se dérouler avant que des dommages irréversibles ne se produisent.
Applications potentielles pour l’humanité
Les découvertes autour des protéines TDPs et des mécanismes de réparation de l’ADN des tardigrades ouvrent la voie à des applications prometteuses pour l’avenir de l’exploration spatiale et de la médecine. Par exemple, ces protéines pourraient être utilisées pour protéger les astronautes des radiations dans l’espace, où l’exposition aux rayonnements cosmiques pose un risque majeur pour la santé. De plus, elles pourraient aider à préserver des médicaments ou des organes lors de transplantations en les protégeant des dommages liés au froid ou à la déshydratation.
En 2021, une équipe de chercheurs de l’Université de Tokyo a introduit les protéines de tardigrades Dsup et TRD1 dans des cellules humaines cultivées. Ces cellules ont montré une meilleure résistance aux radiations, avec une réduction de 40 % des dommages causés à l’ADN par les rayons X. Cette avancée suggère qu’il pourrait être possible, un jour, d’améliorer la résistance humaine aux radiations grâce aux mécanismes biologiques des tardigrades.
Conclusion
Les tardigrades sont des survivants extraordinaires, et leur biologie unique continue de fasciner la communauté scientifique. Leurs capacités à résister à des conditions extrêmes et à réparer leur ADN pourraient un jour révolutionner la manière dont nous abordons la médecine, la conservation des médicaments et même l’exploration spatiale. Grâce aux tardigrades, nous pourrions un jour envisager de voyager dans des environnements extraterrestres ou de développer des traitements pour des maladies graves comme le cancer.
Source : Dr Ben Miles