Les êtres humains ont visité la lune, et des personnes orbitent autour de la Terre à bord d’une station spatiale à cet instant même. Des milliards de dollars sont dépensés pour quitter la Terre, mais une nation a décidé d’explorer une autre voie : la Chine. Elle est en mission pour s’enfoncer profondément dans la Terre elle-même. Mais quelles sont ses motivations ? Est-ce une exploration du monde réel qui promet de redéfinir notre compréhension de la planète, ou sont-ils à la recherche d’une nouvelle ressource précieuse et limitée ? Est-il même possible de creuser si profondément dans la Terre et, plus important encore, qu’est-ce que la Chine découvrira là-bas ? Jusqu’où pourront-ils aller et quels sont les risques potentiels de déclencher des phénomènes volcaniques spectaculaires ?
Les motivations de la Chine
En 2021, le président chinois Xi Jinping a lancé une initiative d’exploration des profondeurs de la Terre, soulignant son importance aux scientifiques du pays. La Chine a donc un double objectif : d’une part, l’exploration scientifique, et d’autre part, des intérêts commerciaux. En creusant en profondeur, les scientifiques peuvent explorer une chronologie historique de la Terre, où chaque couche représente un chapitre de la formation de notre planète. De plus, ils pourraient découvrir des réserves d’énergie enfouies qui pourraient alimenter la croissance et le développement économique futurs de la Chine.
Dans le bassin du Sichuan, au sud-ouest du pays, des ingénieurs chinois creusent un trou de plus de 9 km de profondeur. Un autre projet est entrepris dans le bassin du Tarim, au nord-ouest de la Chine, visant une profondeur de 11 km. Si ces projets réussissent, ces trous compteront parmi les plus profonds jamais creusés par l’humanité.
Les précédents forages et les difficultés rencontrées
Dans l’histoire des forages profonds, plusieurs tentatives ont été faites. Le trou le plus profond jamais foré par l’homme jusqu’à présent est le forage super profond de Kola, en Russie, avec une profondeur de 12 km. Il a fallu plus de deux décennies aux Russes pour atteindre cette profondeur, rencontrant de nombreux défis mécaniques et de panne d’équipements. Néanmoins, ce projet a permis des découvertes scientifiques marquantes, telles que la découverte d’eau et d’hydrogène à des profondeurs imprévues et des fossiles microscopiques de plancton.
Les forages dans le Kola ont révélé des roches métamorphiques sous la couche ignée, ce qui a apporté des preuves importantes pour la théorie des plaques tectoniques, qui était alors une théorie relativement nouvelle. Cependant, malgré ces réussites, les températures extrêmement élevées en profondeur ont freiné les progrès. À une profondeur d’environ 12 262 mètres, les températures ont atteint 180°C, rendant les conditions difficiles pour l’équipement de forage.
Les perspectives théoriques du manteau terrestre
Si les foreurs chinois atteignent le manteau terrestre, ils apporteront des réponses à de nombreuses questions géologiques. Le manteau, composant majeur de notre planète, représente 68 % de sa masse et 85 % de son volume. Contrairement à l’idée courante, il n’est pas constitué de magma liquide, mais de roches en mouvement très lent. Ces roches, sous les températures et pressions élevées de l’intérieur de la Terre, se déplacent au cours de millions d’années, formant un circuit constant du manteau au noyau et de retour.
Les tremblements de terre génèrent des ondes sismiques dont les trajectoires et vitesses permettent de déduire les caractéristiques du manteau. Les champs magnétiques et gravitationnels de la Terre fournissent également des indices sur les types de minéraux à ces profondeurs.
Certains échantillons du manteau ont été obtenus lors d’éruptions volcaniques ou grâce à des collisions de plaques tectoniques, mais ceux-ci ont interagi avec l’air et l’eau de mer, altérant leur composition initiale. Des échantillons vierges, une fois extraits, pourraient révéler des informations précieuses sur la densité du manteau et la façon dont il conduit la chaleur et les ondes sismiques.
Les défis techniques et financiers
La tâche de forer à de telles profondeurs n’est pas simple. Des tentatives dans le passé, comme le projet Moho des États-Unis, ont dû être annulées en raison de coûts exorbitants et de complexités techniques. De nouvelles technologies doivent souvent être développées en cours de route, augmentant les coûts et les délais. Le forage dans la croûte marine pour le projet Moho, par exemple, a nécessité la création de technologies de positionnement dynamique pour stabiliser le navire de forage, technologie inexistante à l’époque.
La Chine, avec ses ressources financières substantielles et un délai de projet relativement court (environ 15 mois), est bien positionnée pour réussir là où d’autres ont échoué. En cas de réussite, la Chine pourrait non seulement établir de nouveaux records de profondeur, mais aussi permettre des avancées scientifiques et technologiques significatives.
Les enjeux économiques et environnementaux
L’exploration des profondeurs de la Terre offre également des perspectives économiques et environnementales intéressantes. L’un des potentiels les plus fascinants est la découverte de nouvelles sources d’énergie propre comme la géothermie supercritique. Cette forme d’énergie, trouvée jusqu’à 20 km sous la surface terrestre, est aussi puissante que les combustibles fossiles tout en étant aussi propre que l’énergie solaire, éolienne ou hydroélectrique. Exploiter l’énergie géothermique supercritique à l’échelle mondiale pourrait réduire la pauvreté énergétique, diminuer les émissions de gaz à effet de serre et créer de nombreux emplois.
Dans la quête incessante de savoir, chaque nouvelle couche découverte de notre planète apporte des solutions inattendues aux défis critiques que nous affrontons. Que la motivation principale soit politique, scientifique ou économique, l’exploration des profondeurs de la Terre représente une nouvelle frontière de la connaissance humaine.
Références :
- Cheung, Rachel. « China Begins Drilling One of World’s Deepest Holes in Hunt for Discoveries Deep Inside the Earth. » The Guardian, June 6, 2023. Lien vers l’article.
- Teagle, Damon, and Benoît Ildefonse. « Journey to the Mantle of the Earth. » Nature 471, no. 7339 (2011): 437–439. Lien vers l’article.
- Witze, Alexandra. « Quest to Drill into Earth’s Mantle Restarts. » Nature 528, no. 16–17 (2015). Lien vers l’article.
- Müller, R. Dietmar, et al. « A Tectonic-Rules-Based Mantle Reference Frame since 1 Billion Years Ago – Implications for Supercontinent Cycles and Plate–Mantle System Evolution. » Solid Earth 13 (2022): 1127–1159. Lien vers l’article.
Source : New Nature