Le projet controversé d’Oxitec : des débuts difficiles
En 2021, la société britannique de biotechnologie Oxitec, désormais sous propriété américaine, a lancé un projet en Floride visant à lutter contre les maladies transmises par les moustiques. Ce projet a débuté avec la libération de 144 000 moustiques génétiquement modifiés. Au fil des années, des millions d’autres moustiques ont été relâchés, avec 5 millions en 2022 et 3 millions en 2023. Cette initiative controversée vise à réduire la population du moustique Aedes aegypti, principal vecteur de maladies comme la dengue, le virus Zika et la fièvre jaune, à travers des techniques de modification génétique.
Réactions publiques et résistances
Dès l’annonce de ce projet en 2011, une partie du public a exprimé de vives inquiétudes. Craignant d’être transformés en cobayes d’expérimentations génétiques, les habitants se sont mobilisés. Une pétition contre cette initiative a rapidement recueilli plus de 100 000 signatures, atteignant même 238 000 signatures à ce jour. Les opposants affirment que ces expérimentations, faites sans leur consentement, sont inacceptables, surtout que ces moustiques, une fois relâchés, ne peuvent être récupérés. Malgré les nombreuses critiques, les régulateurs fédéraux ont autorisé Oxitec à poursuivre ses recherches. Cette décision a créé un fort sentiment d’impuissance chez les habitants locaux, renforçant leur méfiance envers les organismes de réglementation.
Pourquoi modifier génétiquement les moustiques ?
Le moustique en question, l’Aedes aegypti, ou moustique de la fièvre jaune, est un vecteur majeur de maladies graves telles que la dengue, le virus Zika et la fièvre jaune. Il vit à proximité d’environ la moitié de la population mondiale et se propage rapidement. Les efforts pour contenir sa population à l’aide de méthodes classiques comme les insecticides se sont révélés inefficaces, notamment en Floride, où environ 4 % des moustiques sont des Aedes aegypti, mais où ils causent 100 % des maladies transmises par les moustiques. Chaque année, entre 100 et 400 millions de personnes dans le monde souffrent de la dengue, une maladie souvent invalidante et potentiellement mortelle.
Les insecticides conventionnels n’ont pas réussi à freiner la propagation de ces maladies, obligeant les scientifiques à trouver d’autres solutions. C’est là qu’intervient Oxitec, qui a mis au point des moustiques mâles génétiquement modifiés incapables de transmettre des maladies. Les moustiques femelles, qui sont les seuls à piquer et à propager des infections, ne survivent pas à l’âge adulte grâce à une modification génétique. Cela réduit la population de moustiques, tout en limitant leur capacité à propager des maladies.
Comment fonctionne la modification génétique des moustiques ?
Les moustiques créés par Oxitec sont porteurs d’un gène auto-limitant. Ce gène empêche les femelles de survivre jusqu’à l’âge adulte, tandis que les mâles survivent et peuvent se reproduire. Pour que ces moustiques puissent atteindre l’âge adulte en laboratoire, Oxitec leur administre un antidote appelé tétracycline. Toutefois, une fois relâchés dans la nature, sans accès à cet antidote, les moustiques porteurs de ce gène meurent avant d’atteindre l’âge adulte.
Ces moustiques sont également porteurs d’un marqueur fluorescent rouge, dérivé de l’ADN de corail, permettant aux scientifiques de suivre leur propagation. En 2021, les premiers moustiques modifiés ont été libérés en Floride, où ils ont été presque impossibles à distinguer de leurs homologues sauvages. Les moustiques sauvages, ne pouvant reconnaître la menace génétique, se sont reproduits avec ces moustiques modifiés, propageant le gène auto-limitant et réduisant ainsi la population de moustiques vecteurs de maladies.
Résultats et limites des expériences en Floride
Les résultats de ces expérimentations montrent que le gène auto-limitant ne persiste dans la population que pendant 2 à 3 mois, ce qui correspond à environ trois générations de moustiques. Les moustiques porteurs de ce gène ont été retrouvés dans un rayon de seulement 400 mètres autour des points de libération. Bien que cela puisse sembler limité, ces résultats étaient attendus. Les gènes modifiés ne persistent pas longtemps dans l’environnement, assurant ainsi que la population de moustiques ne soit pas complètement éradiquée.
Malgré ces résultats encourageants, des questions demeurent. Certains scientifiques s’inquiètent de la possibilité que des moustiques hybrides apparaissent, potentiellement plus résistants et plus dangereux que les moustiques sauvages. En outre, si des moustiques modifiés étaient relâchés près de zones agricoles où des antibiotiques sont utilisés, cela pourrait entraîner la survie accidentelle de ces moustiques modifiés, augmentant ainsi les risques pour la population.
Expériences internationales et résultats
Oxitec a déjà mené des expériences similaires dans d’autres régions du monde, notamment au Brésil, à Panama, dans les îles Caïmans et en Malaisie. En 2010, une petite libération de moustiques au Cayman a permis de réduire la population de moustiques vecteurs de maladies de 80 %. Au Brésil, un programme de lutte contre la dengue, mené dans la ville de Kangas à partir de juillet 2023, a montré des résultats impressionnants. En seulement 10 mois, les sites de reproduction des moustiques ont presque disparu, avec une baisse conséquente des cas de dengue par rapport aux villes voisines.
Conclusion : un avenir prometteur, mais des risques à surveiller
La modification génétique des moustiques offre une solution innovante et potentiellement très efficace pour lutter contre des maladies mortelles transmises par ces insectes. Cependant, comme pour toute intervention humaine dans un écosystème, il y a des risques à surveiller. Le risque d’hybrides résistants ou d’une survie accidentelle de moustiques modifiés reste une préoccupation majeure. De plus, l’impact à long terme de l’élimination de certains moustiques sur l’écosystème reste incertain.
Source : WATOP