L’idée d’introduire des gènes humains dans des singes évoque des scénarios de science-fiction, mais des chercheurs chinois ont franchi cette étape en intégrant un gène d’intelligence humaine dans le génome de macaques. Ce projet a non seulement permis de nouvelles découvertes scientifiques, mais il a également suscité des débats sur les limites éthiques de la manipulation génétique.
La recherche sur les gènes du cerveau chez les singes
L’étude, parue en mars 2019, dirigée par le généticien Bing Su de l’Institut de zoologie de Kunming, cherchait à comprendre comment le gène MCPH1, associé au développement du cerveau, a pu contribuer à l’évolution de cet organe chez l’humain. Si tous les primates possèdent une version de ce gène, les cerveaux humains sont particulièrement grands et leur développement plus long, avec des capacités cognitives avancées. Les chercheurs ont voulu examiner si la version humaine du MCPH1 pouvait expliquer cette spécificité.
Pour ce faire, l’équipe de Su a injecté des embryons de macaques rhésus avec un virus contenant la version humaine du gène MCPH1. Les cerveaux des singes génétiquement modifiés ont montré un développement plus lent et plus complexe, rappelant celui des humains. En vieillissant, ces singes ont aussi obtenu de meilleurs résultats et réagi plus rapidement lors de tests de mémoire à court terme impliquant des correspondances de formes et de couleurs. Cependant, les modifications génétiques n’ont eu aucun impact significatif sur la taille du cerveau ni sur d’autres comportements.
Questions éthiques autour de la modification génétique
Les résultats scientifiques de cette étude sont remarquables, mais le procédé soulève des questions éthiques importantes. Rebecca Walker, bioéthicienne à l’Université de Caroline du Nord, exprime des réserves quant à l’éventualité d’une intelligence « humanisée » chez les animaux. Elle s’inquiète des conséquences sociales et du bien-être de ces animaux « humanisés » dans leur propre environnement, redoutant des conditions de vie inadaptées.
Les chercheurs, pour justifier leur travail, avancent que cette recherche pourrait fournir des informations sur les maladies neurodégénératives et sur certains troubles comportementaux humains. Cependant, cette justification reste floue, et Walker souligne qu’aucun détail dans l’étude ne permet de considérer cette recherche comme véritablement essentielle. Manipuler les capacités cognitives des animaux, selon elle, exige une justification éthique beaucoup plus solide.
Les arguments des chercheurs et les questions éthiques persistantes
Dans une interview pour le China Daily, Su a précisé que, bien que proches des humains, les macaques rhésus présentent des différences biologiques significatives, ce qui réduirait les risques de comportements véritablement humanisés. Les chercheurs considèrent que le macaque, avec environ 25 millions d’années d’évolution le séparant de l’humain, est suffisamment éloigné pour atténuer les préoccupations éthiques. Ils notent que les capacités sociales et cognitives des macaques rhésus sont moins développées que celles des chimpanzés, plus proches de l’humain.
Walker, cependant, estime cette justification insuffisante. Elle soutient que toute amélioration des capacités cognitives, même légère, rapproche ces singes des humains en termes de performances intellectuelles et que cette manipulation, même modeste, soulève des questions éthiques délicates. Même une modification génétique ciblée, selon elle, peut avoir des implications importantes, surtout si elle confère des compétences cognitives plus avancées à des animaux non humains.
Perspectives d’avenir pour la recherche sur les gènes humains
Bien que les modifications apportées dans cette étude soient minimes, certains experts comme James Sikela de l’Université du Colorado s’inquiètent des conséquences possibles de ce type de recherche. Sikela invite à une réflexion approfondie sur les répercussions et les méthodes idéales pour explorer ce type de questions.
Walker envisage également les potentielles applications de cette technologie, notamment la possibilité d’améliorer les capacités cognitives humaines par des procédés similaires. Si elle considère ces perspectives encore lointaines, elle rappelle que les progrès scientifiques peuvent être rapides et surprenants. En 2018, par exemple, la technologie CRISPR, bien que jeune, a déjà été utilisée pour modifier les gènes de jumeaux en Chine, montrant ainsi la rapidité avec laquelle ces technologies avancent.
En fin de compte, Walker émet des réserves quant aux implications de cette recherche. Elle met en garde contre une éventuelle utilisation de ces découvertes dans le cadre de manipulations cognitives humaines, ce qui ouvre des perspectives éthiques et scientifiques préoccupantes.
Source : www.discovermagazine.com