Il y a deux mille ans, un navire marchand romain a sombré au large de la côte sarde, emportant avec lui une cargaison précieuse de plomb et d’autres artefacts. Ce naufrage, oublié pendant des siècles, a récemment refait surface grâce à une découverte archéologique majeure. Ce qui rend cette histoire unique, c’est que ces objets anciens, en particulier les lingots de plomb, jouent aujourd’hui un rôle inattendu dans des recherches scientifiques modernes. Ce lien improbable entre l’histoire antique et la science contemporaine est au cœur de cette fascinante aventure.
Découverte du naufrage
Notre histoire commence en 1988, lorsque des plongeurs au large de la côte sarde, à une profondeur de 28 mètres, ont découvert les restes d’un ancien navire. Ils ont identifié des jarres en argile d’origine romaine, et ont déterminé qu’il s’agissait d’un navire commercial de 30 mètres de long, spécialisé dans le transport de lourdes charges.
Parmi les artefacts trouvés se trouvaient des objets d’utilisation quotidienne comme des jarres pour la nourriture, l’eau et le vin, ainsi qu’une meule pour moudre les céréales. Cependant, la découverte la plus impressionnante fut une cargaison de mille lingots de plomb parfaitement empilés.
Importance du plomb dans l’Empire romain
Le plomb était un matériau très prisé par les Romains pour sa malléabilité et sa durabilité. Ils l’exploitaient principalement à partir de la galène, un minerai également riche en argent. Les Romains utilisaient le plomb pour fabriquer des pièces de monnaie, des ancres, des munitions de fronde et pour tapisser leurs aqueducs. Ils en extrayaient tant que cela a laissé une trace de pollution dans les carottes de glace du Groenland.
Les inscriptions mystérieuses
Chaque lingot du navire portait une inscription. Ces marquages indiquaient souvent les noms des fabricants, comme Marcus et Gaius Pontinelius, qui étaient les producteurs principaux de cette cargaison. D’autres inscriptions, comme PILIP, rendaient hommage à des serviteurs décédés, illustrant une certaine forme de commémoration dans le commerce des métaux à l’époque romaine.
Un naufrage énigmatique
Bien que les chercheurs aient déterminé que le navire a sombré après 89 av. J.-C., de nombreuses questions demeurent. Ils ne savent pas exactement où se dirigeait cette cargaison ni pourquoi le navire a coulé. Une hypothèse avance que les vents violents de la région pourraient avoir déséquilibré la lourde cargaison, faisant sombrer le navire. Une autre théorie suggère que l’équipage aurait délibérément coulé le navire pour empêcher des pirates de s’emparer du précieux plomb.
Le plomb et la physique des particules
Des siècles après le naufrage, les scientifiques de CUORE, une expérience située sous les montagnes des Apennins en Italie, se sont intéressés à ces lingots de plomb romains. CUORE, ou Cryogenic Underground Observatory for Rare Events, vise à observer un événement hypothétique en physique des particules appelé la double désintégration bêta sans émission de neutrinos. Pour ce faire, ils doivent isoler leur matériel radioactif des sources extérieures de radiation, et c’est là que le plomb antique entre en jeu.
Le plomb moderne contient encore des traces de radioactivité, mais le plomb antique, qui a eu des millénaires pour se stabiliser, est parfait pour cette tâche. De plus, les lingots de ce navire, protégés sous l’eau pendant des siècles, n’ont pas été exposés aux rayons cosmiques, ce qui les rend encore plus précieux.
Un accord controversé
Dans les années 1990, les archéologues, ayant du mal à financer les fouilles du site, ont accepté une offre des physiciens de CUORE. En échange de 10 % des lingots, ces derniers finançaient les travaux archéologiques. Cependant, cet accord a suscité des controverses car les lingots étaient des artefacts irremplaçables. Le processus de récupération et de fusion de ces lingots par les scientifiques a posé des dilemmes éthiques, en particulier face à la rareté de ce matériau précieux.
Un défi pour l’avenir
En 2017, après des années de préparation, les scientifiques de CUORE ont commencé à observer leurs cristaux d’oxyde de tellure pour déceler la moindre trace de la désintégration bêta sans émission de neutrinos. Les résultats, publiés en 2024, étaient décevants : ils n’ont pas trouvé la moindre preuve de cet événement hypothétique, mais cela ne signifie pas que leurs efforts ont été vains. Le projet CUPID, la suite de CUORE, devrait débuter à la fin de 2024 et apporter des améliorations qui pourraient enfin résoudre certains des plus grands mystères de l’univers.
Conclusion
Les lingots du navire romain de Mal di Ventre ont traversé les siècles pour devenir des pièces cruciales dans la quête des scientifiques pour comprendre l’univers. Bien que cette quête continue, il est clair que ces découvertes historiques et scientifiques, qu’elles concernent l’Empire romain ou les particules subatomiques, sont inextricablement liées dans une histoire fascinante.