Les abeilles, ces insectes remarquables, suscitent depuis longtemps l’admiration des scientifiques grâce à leurs capacités impressionnantes. Non seulement elles peuvent discerner diverses situations et même compter des objets, mais elles montrent également une organisation collective extraordinaire au sein de leurs ruches. Une étude de 2018, publiée dans la revue Nature par des chercheurs de l’université de Sheffield au Royaume-Uni, révèle une découverte fascinante : une colonie d’abeilles fonctionne comme un cerveau géant où chaque abeille joue le rôle d’un neurone. Ce parallèle ouvre de nouvelles perspectives sur l’intelligence collective et les mécanismes de décision en groupe.
Comprendre les abeilles grâce aux modèles neuropsychologiques
L’intelligence collective en question
L’étude des abeilles et de leur capacité à collaborer en tant que groupe a longtemps intrigué les biologistes. Cette recherche récente s’appuie sur un modèle psychologique communément utilisé pour analyser les processus décisionnels humains. Son objectif : explorer si les colonies d’abeilles suivent les mêmes principes neuropsychologiques que ceux qui gouvernent notre cerveau.
Les scientifiques se sont concentrés sur la loi de Weber-Fechner, un principe fondamental en psychophysique qui établit un lien entre l’intensité d’un stimulus et sa perception. Cette loi a déjà été validée chez de nombreux animaux, des mammifères aux oiseaux, et même chez des organismes simples dépourvus de système nerveux, comme les amibes. Cependant, elle n’avait jamais été testée sur des « organismes collectifs » tels que les ruches, qui opèrent comme des réseaux d’entités interconnectées.
Test des processus décisionnels dans les ruches
Pour mener cette étude, les chercheurs ont observé des colonies d’abeilles européennes (Apis mellifera) en quête de nouveaux habitats. Lorsqu’un essaim se divise pour chercher un site de nidification, des abeilles éclaireuses (ou scouts) identifient plusieurs emplacements potentiels. Leur mission : convaincre la colonie de choisir le meilleur site à travers des danses et mouvements spécifiques. Ce processus d’interaction collective a été analysé à la lumière de deux lois psychophysiques fondamentales :
- La loi de Piéron : elle stipule que le temps nécessaire pour prendre une décision diminue lorsque les choix sont de meilleure qualité.
- La loi de Hick : elle affirme que le temps de réaction augmente avec le nombre de choix disponibles.
Les chercheurs ont ainsi examiné si les colonies d’abeilles suivent ces principes lorsqu’elles évaluent plusieurs options pour leur nouveau nid.
Des abeilles aux neurones : un processus similaire
Des comportements en miroir avec les lois psychophysiques
Les résultats montrent que les abeilles valident à la fois la loi de Piéron et la loi de Hick. Lorsqu’elles étaient confrontées à des options de qualité supérieure, les colonies prenaient leur décision plus rapidement. À l’inverse, lorsqu’un plus grand nombre d’options était proposé, leur temps de réaction augmentait. Ces observations reflètent des schémas décisionnels observés dans le cerveau humain.
Les abeilles scouts, messagères de la colonie
Dans un cerveau humain, les neurones transmettent des informations par des impulsions électrochimiques. Chez les abeilles, ce rôle est tenu par les scouts, qui communiquent leurs découvertes par des mouvements spécifiques. Ces comportements corporels, essentiels au consensus collectif, obéissent aux mêmes lois fondamentales que les neurones lors de la prise de décision.
Le bioinformaticien Andreagiovanni Reina, auteur principal de l’étude, souligne que cette dynamique collective illustre parfaitement le concept de superorganisme : « La colonie se comporte comme un organisme unique, où chaque abeille autonome interagit avec les autres pour fournir une réponse collective ». Ce mécanisme est une forme d’émergence : des comportements simples produisent des actions complexes, similaires à celles d’un cerveau.
Vers une meilleure compréhension des systèmes collectifs
Une avancée prometteuse en neurosciences
Ces résultats ouvrent une voie passionnante pour étudier les parallèles entre les colonies d’abeilles et les réseaux neuronaux humains. Observer des systèmes aussi différents que les cerveaux et les ruches peut nous aider à mieux comprendre comment des réponses sophistiquées émergent de structures apparemment simples.
Des limites à dépasser
Cependant, l’étude reste un modèle théorique basé sur un nombre limité d’observations. Les chercheurs appellent à collecter davantage de données pour explorer les similitudes entre les systèmes biologiques et collectifs. « Observer des similarités entre des colonies d’abeilles et des neurones cérébraux est intéressant, car le comportement d’abeilles choisissant un nid est plus simple à étudier que les neurones d’un cerveau en pleine décision », conclut Reina.
Cette recherche souligne ainsi la pertinence d’utiliser des organismes collectifs comme les abeilles pour mieux comprendre les lois fondamentales qui sous-tendent les mécanismes complexes de prise de décision.
Sources:
www.nature.com
trustmyscience.com