La fosse des Mariannes, située dans l’océan Pacifique occidental à l’est des Philippines, représente le point le plus profond de la planète, atteignant près de 11 000 mètres sous la surface. Cet environnement extrême, privé de lumière et soumis à des pressions colossales, demeure en grande partie inconnu. Cependant, une nation s’active aujourd’hui à explorer ces profondeurs pour bien plus que la simple recherche scientifique.
Un monde inexploré aux conditions extrêmes
La descente dans la fosse traverse plusieurs zones océaniques, chacune présentant ses propres caractéristiques et formes de vie adaptées :
- Zone photique (jusqu’à 200 m) : Cette couche supérieure de l’océan est baignée de lumière, peuplée de récifs coralliens et de poissons en abondance. C’est l’image classique que l’on se fait de la mer, accessible à la baignade et aux sports nautiques.
- Zone crépusculaire (200 à 1 000 m) : La lumière s’estompe progressivement. La pression atteint 2 000 kPa, soit dix fois celle ressentie à la surface. Des créatures fascinantes telles que l’orphie serpentiforme et l’ange de mer, un mollusque translucide, y vivent.
- Zone de minuit (1 000 à 4 000 m) : L’obscurité est totale, à l’exception des lueurs émises par la bioluminescence. Les espèces présentent souvent de grands yeux ou des corps souples, capables de résister à une pression de 10 000 kPa. Parmi elles, le magnapa squid, doté de bras atteignant plus de 6 m, et le célèbre blobfish, qui se déforme lorsqu’il remonte à la surface.
- Zone abyssale (4 000 à 6 000 m) : Froid et silence règnent, la vie est rare, mais persiste grâce à la « neige marine », un dépôt continu de matière organique en provenance des couches supérieures. Parfois, la chute d’une carcasse de baleine (« whale fall ») crée un écosystème florissant pour des années, nourrissant toute une faune de charognards et de bactéries.
- Zone hadale (au-delà de 6 000 m) : Seules les fosses océaniques atteignent ces profondeurs extrêmes, où la pression dépasse 60 000 kPa. Quelques sous-marins spécialisés parviennent à s’y aventurer, mais la vie, bien qu’exceptionnelle, existe : organismes unicellulaires géants, crevettes pâles, tous adaptés à cette pression écrasante.
Challenger Deep : le point le plus profond
La fosse des Mariannes s’étend sur plus de 2 500 km, mais son abîme le plus profond, Challenger Deep, n’a été atteint qu’en de rares occasions. En 1960, Jacques Piccard et Don Walsh y ont plongé dans une sphère d’acier. Il a fallu attendre plus de cinquante ans pour voir James Cameron y descendre en solitaire en 2012, suivi par Victor Vescovo qui a multiplié les plongées et les prélèvements. Ces expéditions, rares et onéreuses, sont longtemps restées l’apanage de quelques pionniers.
La nouvelle course aux profondeurs menée par la Chine
Depuis 2020, la Chine change la donne en multipliant les descentes. Après avoir envoyé une équipe de trois personnes à bord du submersible Fendouzhe, le pays a poursuivi sur sa lancée. Les nouvelles générations de robots sous-marins chinois, compacts et autonomes, sont conçues pour explorer, collecter des données et retourner à la surface de façon répétée et à moindre coût. Cette évolution marque le passage d’expéditions exceptionnelles à une exploration systématique et scalable.
La Chine développe désormais une flotte entière de robots capables de glisser, ramper ou manipuler des objets dans les profondeurs. Ces appareils collaborent en essaims, élargissant la zone de couverture et multipliant les possibilités d’observation et d’intervention.
Les ressources et enjeux cachés des profondeurs
Écosystèmes extrêmes et puits de carbone
Le fond de la fosse n’abrite pas seulement des formes de vie étranges. Les couches de vase carbonée, épaisses de plus d’un kilomètre par endroits, conservent des traces de l’histoire océanique et jouent un rôle majeur dans le piégeage du carbone, contribuant à la régulation du climat mondial.
Sources froides et hydrates de méthane
Des « sources froides » libèrent du méthane et du sulfure d’hydrogène, nourrissant des communautés d’organismes chimiosynthétiques. Ces milieux offrent des modèles pour de futurs systèmes énergétiques et rappellent les conditions qu’on pourrait trouver sur des lunes de Jupiter ou de Saturne.
Le méthane piégé sous forme d’hydrate (« glace de feu ») pourrait représenter une source d’énergie potentielle, bien que son extraction comporte des risques environnementaux majeurs : glissements sous-marins, libérations massives de méthane, et impacts climatiques non maîtrisés.
Nodules polymétalliques et l’extraction minière
Le plancher océanique est parsemé de nodules contenant du cobalt, du nickel, du cuivre et du manganèse, essentiels à la fabrication de batteries et d’équipements pour les énergies renouvelables. Leur collecte implique l’emploi de véhicules miniers robotisés, qui soulèvent des panaches de sédiments susceptibles d’étouffer des habitats fragiles et de perturber durablement l’écosystème. Certains scientifiques estiment que la récupération complète de ces zones pourrait prendre des siècles, si elle est même possible.
Défis réglementaires et ambitions stratégiques
Face à la richesse de ces ressources, la réglementation internationale reste limitée, laissant la voie libre à une exploitation rapide et peu encadrée. La Chine, consciente de cette opportunité, ne se contente pas d’observer : elle se prépare à extraire, à revendiquer et à sécuriser ces richesses avant la concurrence. Parmi ses projets figure la construction d’une base permanente à 2 000 m de profondeur, capable d’accueillir six scientifiques pour des séjours d’un mois, une première mondiale qui rappelle les stations spatiales.
Cette présence offre à la Chine un avantage décisif : le temps. Elle dispose ainsi de la capacité de tester de nouveaux outils, de surveiller l’environnement, de former des spécialistes et d’accumuler une expérience inégalée dans l’exploitation et la gestion des grands fonds.
Les câbles sous-marins : artères invisibles de la mondialisation
Au fond des océans s’étend également un réseau de câbles de données, essentiels au fonctionnement de l’Internet, du commerce et des communications militaires. Ces fibres optiques, contenues dans des câbles robustes mais vulnérables, transmettent la quasi-totalité du trafic mondial. Un navire mal ancré peut les endommager, tandis que les activités de certains pays suscitent des inquiétudes quant à des actes de sabotage délibérés. En 2025, la Chine a dévoilé un robot sous-marin capable de sectionner ces câbles sous prétexte d’entretien, soulevant la question de leur sécurité stratégique.
La maîtrise de ces infrastructures devient un enjeu de souveraineté numérique et de sécurité globale.
La montée en puissance de la recherche océanique chinoise
La stratégie chinoise repose sur des investissements massifs en recherche, la création de nouveaux laboratoires, la formation d’ingénieurs, biologistes et roboticiens, ainsi que l’attraction de talents internationaux. À l’inverse, d’autres pays comme les États-Unis réduisent leurs budgets de recherche océanique, affaiblissant leur capacité à rivaliser dans cette nouvelle course aux abysses.
En soutenant ses scientifiques, la Chine s’assure de faire des découvertes majeures et de développer l’infrastructure nécessaire à une présence continue et efficace dans les profondeurs.
Vers un nouveau partage du monde sous-marin
La Chine n’a pas seulement découvert la vie à l’extrême fond de l’océan, elle a aussi mis au point les moyens d’y accéder durablement. En transformant l’exploration ponctuelle en stratégie reproductible, elle se positionne pour contrôler l’accès aux ressources et à l’information, et potentiellement dicter les règles du jeu à venir. Alors que certains pays réduisent leur implication, la Chine avance à grands pas, prête à façonner l’avenir d’un espace encore largement inexploré, mais aux enjeux considérables pour la sécurité, la puissance et l’influence mondiale.
Comme jadis pour la conquête de l’espace, la question d’une coopération internationale se pose pour éviter une exploitation irréversible et préserver ce dernier grand territoire sauvage de la planète. L’exemple de la Station spatiale internationale montre que la collaboration est possible. Aujourd’hui, la gestion du monde sous-marin pourrait bien façonner l’équilibre du siècle à venir.
Source : New Nature