En mai 2021, sur le parking de la plage de Cénitz à Guéthary, au Pays basque, un rassemblement de camping-cars, vans et fourgons aménagés prenait des allures de fête post-confinement. Au milieu de cette foule, Nono, de son vrai nom Arnaud, est une figure familière, vivant depuis huit ans dans son Volkswagen T25 avec sa chienne Muxu. Connu pour sa convivialité, il a choisi la vie en véhicule aménagé après une rupture en 2013. Ce mode de vie lui a permis de parcourir la côte basque tout en cultivant un réseau d’amis proches. Cependant, au fil des années, la précarité s’est installée, même si son entourage bienveillant et son fourgon l’ont soutenu.
Nono a également constaté une explosion du nombre de véhicules aménagés, amplifiée par la crise du coronavirus. La demande pour ces véhicules a littéralement doublé en 2020, portée par un besoin de liberté et de distanciation sociale. En Europe, les immatriculations de véhicules aménagés n’ont cessé d’augmenter, avec une France en deuxième position sur le marché, enregistrant une hausse de plus de 49 % des ventes entre 2020 et 2021. Ce phénomène a attiré non seulement des touristes, mais aussi des individus en quête de sens, cherchant à rompre avec les contraintes de la vie moderne, comme Philippe, qui a tout quitté pour vivre en nomade.
Cependant, cette hausse de popularité ne plaît pas à tout le monde. De nombreuses mairies, particulièrement dans les zones touristiques, imposent des restrictions de stationnement par le biais d’arrêtés municipaux et d’installations de portiques limitant la hauteur des véhicules. Bien que ces mesures soient souvent illégales selon le Code de la Route, elles se multiplient, notamment sur la côte basque, où Nono a vu ces barrières devenir de plus en plus fréquentes.
De la contre-culture à la marchandisation du soi
Si la « vanlife » est souvent perçue comme un mode de vie alternatif, elle est désormais aussi récupérée par des marques et des influenceurs, qui en font la promotion sur les réseaux sociaux, à travers des images soigneusement filtrées et esthétiques. Le film « Vanlife, les nouveaux nomades », produit en 2021, met en avant cette vie de rêve, avec des véhicules vintage et des paysages magnifiques, alimentant une image glamour de ce mode de vie.
Le hashtag #vanlife a explosé sur Instagram, atteignant plus de 12 millions d’occurrences en 2022, contre 4 millions en 2019. Les adeptes de cette tendance se revendiquent souvent d’une vie simple, proche de la nature, et décroissante. Cependant, cette réalité est bien souvent le privilège de ceux qui peuvent se permettre d’acheter et d’aménager un véhicule tout en maintenant un certain confort matériel. Paradoxalement, les vanlifers se conforment encore aux attentes de la société néolibérale, en monétisant leur vie via des contenus sur les réseaux sociaux.
Raúl, un nomade saisonnier, déplore cette dérive. Selon lui, la popularité croissante de la vanlife et sa commercialisation ont entraîné une vague d’intolérance envers ceux qui vivent dans des véhicules aménagés pour des raisons plus profondes et précaires. Nono, loin de ces préoccupations Instagram, critique ceux qui achètent des vans pour des raisons superficielles, ce qui renforce sa marginalisation.
Sous le vernis, la précarité des invisibles
Depuis son exil dans les Pyrénées, Nono vit une situation de plus en plus difficile. Son fourgon est immobilisé et sa cheville fracturée l’empêche de travailler. Bien que vivant « au paradis », selon ses termes, il doit souvent mendier, chercher des champignons à vendre, ou encore faire des petits boulots pour survivre. Son RSA ne lui suffit pas, et sa situation l’isole davantage, alimentant les préjugés dont il est victime.
Cette précarité touche aussi d’autres résidents mobiles comme Christophe, un ancien chauffeur routier contraint de quitter son logement en 2008. Vivre dans son camion est pour lui une solution pour échapper à la rue. Les statistiques manquent cependant pour évaluer précisément le nombre de personnes vivant de cette manière en France, bien que certains indices, comme une enquête de l’INSEE en 2013, indiquent que plus de 280 000 personnes ont recours à des habitations mobiles en l’absence de logement adapté.
Pour beaucoup, la vie en van est plus qu’une simple quête de liberté ; elle est devenue une nécessité pour lutter contre la précarité. Pourtant, les restrictions de stationnement et la marginalisation sociale continuent de peser lourdement sur ces invisibles, coupés des opportunités de travail et des interactions humaines. Loin des clichés Instagram, la réalité de la vanlife pour certains, comme Nono, est celle d’un combat quotidien pour la survie, loin du rêve vendu sur les réseaux sociaux.
Source: mrmondialisation.org