Dans cette longue et fascinante interview, Marc Lachièze-Rey, astrophysicien théoricien et cosmologue, nous emmène au cœur de questions fondamentales sur la nature de l’univers, du temps et de la gravitation. Ses explications détaillées, bien que complexes, éclairent des concepts difficiles à appréhender, notamment les implications de la relativité d’Einstein et la question épineuse du temps, qui n’existerait pas selon les théories actuelles.
L’interview s’ouvre sur un rappel de la mission du podcast, qui est de partager la parole d’experts scientifiques dans des domaines variés tels que l’astrophysique, la biologie ou l’économie. Dans cet épisode, c’est Marc Lachièze-Rey qui nous fait l’honneur de ses explications sur des sujets aussi profonds que complexes.
La nature de l’astrophysique et de la cosmologie
L’interview débute par une clarification des termes astrophysique et cosmologie, qui sont souvent confondus. L’astrophysique est la branche de la physique qui étudie les objets célestes, comme les étoiles, les planètes et les galaxies, en appliquant les lois de la physique pour comprendre leur nature et leur comportement. La cosmologie, en revanche, se concentre sur l’étude de l’univers dans son ensemble, notamment son origine, son évolution et sa structure globale.
Selon Lachièze-Rey, l’astrophysique se base sur plusieurs disciplines classiques de la physique, comme la gravitation, l’électromagnétisme ou la thermodynamique. La cosmologie, quant à elle, est une discipline plus récente dans sa version scientifique, mais elle existe depuis l’Antiquité sous des formes philosophiques. Les civilisations anciennes se sont longtemps interrogées sur la nature de l’univers et sur notre place en son sein. La cosmologie moderne trouve ses racines scientifiques à l’époque de Newton, qui introduit les notions d’espace, de temps et de lois universelles.
L’avènement de la physique moderne avec Newton marque un tournant dans notre compréhension de l’univers. Newton a établi des lois mathématiques qui décrivent le mouvement des objets célestes, une révolution à l’époque. Cependant, comme le précise Lachièze-Rey, la cosmologie newtonienne reste très simple et ne prend pas en compte l’évolution de l’univers, un point qui sera radicalement transformé avec l’arrivée de la relativité d’Einstein.
La révolution de la relativité
Au début du XXe siècle, Einstein bouleverse la science en introduisant d’abord la relativité restreinte en 1905, puis la relativité générale en 1915. Ces deux théories modifient fondamentalement notre conception de l’espace et du temps. Lachièze-Rey explique que, jusqu’à Einstein, l’espace et le temps étaient perçus comme des entités distinctes et indépendantes. Mais avec la relativité, ces deux notions sont fusionnées dans un concept unique : l’espace-temps.
L’une des idées les plus bouleversantes de la relativité restreinte est que les notions familières d’espace et de temps disparaissent au profit d’une nouvelle entité : l’espace-temps. Dans cette conception, le temps et l’espace ne sont plus des absolus, mais sont relatifs à l’observateur. Ce changement conceptuel a eu des répercussions considérables sur la physique, mais il reste abstrait et difficile à comprendre dans la vie de tous les jours, où nous utilisons encore des concepts classiques d’espace et de temps.
L’exemple donné par Lachièze-Rey est celui de l’observation d’une étoile lointaine : ce que nous voyons aujourd’hui est en réalité l’image de cette étoile telle qu’elle était il y a des millions d’années. Cela signifie que nous ne pouvons pas simplement parler de l’espace ou du temps indépendamment. Toute observation astronomique est en réalité une observation de l’espace-temps, où la distance et le temps sont inextricablement liés.
La gravitation comme courbure de l’espace-temps
La relativité générale apporte une nouvelle vision de la gravitation, qui n’est plus vue comme une force s’exerçant à distance entre deux objets massifs, mais comme une déformation de l’espace-temps lui-même. La Terre tourne autour du Soleil non pas parce que le Soleil exerce une force d’attraction directe, mais parce que la présence du Soleil courbe l’espace-temps, et la Terre suit cette courbure.
Lachièze-Rey explique que cette conception de la gravitation est radicalement différente de celle de Newton. Einstein montre que l’espace-temps peut être courbé par la matière et l’énergie, et que cette courbure est à l’origine de la gravitation. Il illustre cette idée avec l’exemple d’une feuille de papier plane qui se courbe lorsqu’on y place un objet lourd au centre. De même, l’espace-temps se courbe autour des objets massifs comme le Soleil, et les planètes suivent cette courbure dans leur orbite.
Ce modèle, bien que conceptuellement difficile, a été vérifié par de nombreuses observations, notamment par la découverte des ondes gravitationnelles et la manière dont la lumière se courbe en présence d’un champ gravitationnel puissant.
Les trous noirs : mystère et réalité
Les trous noirs, objets fascinants prédits par la relativité générale, occupent une place importante dans l’interview. Lachièze-Rey explique que ces objets se forment lorsque des étoiles massives arrivent en fin de vie et s’effondrent sous leur propre gravité. Le résultat est une région de l’espace où la gravité est si intense que rien, pas même la lumière, ne peut s’en échapper, d’où leur nom de « trous noirs ».
Il y a deux manières de comprendre un trou noir : soit comme un objet très compact exerçant une attraction gravitationnelle extrême, soit comme une zone où l’espace-temps est courbé à l’extrême. Les deux descriptions sont équivalentes et témoignent de la force incroyable de la gravité dans ces objets.
Bien que les trous noirs soient théoriquement invisibles, leur présence est déduite par l’observation des effets qu’ils ont sur leur environnement. Par exemple, la matière qui tombe vers un trou noir est chauffée à des températures extrêmes et émet des rayons X avant de disparaître au-delà de l’horizon des événements, une limite au-delà de laquelle rien ne peut s’échapper.
Le paradoxe du temps et les horloges atomiques
Un des points les plus surprenants abordés dans l’interview est la question de l’existence du temps. Lachièze-Rey soutient que, dans le cadre de la relativité, le temps tel que nous le concevons n’existe pas. En effet, selon la théorie d’Einstein, il est impossible de synchroniser parfaitement deux horloges situées dans des endroits différents. Par exemple, si deux horloges sont initialement synchronisées, elles ne donneront plus la même heure si l’une est déplacée.
Ce phénomène est dû à la courbure de l’espace-temps, et est mesuré avec une grande précision grâce aux horloges atomiques, qui sont capables de mesurer des différences infimes dans la « vitesse du temps » à différents endroits. Ces différences sont utilisées dans des applications telles que la mesure de l’altitude ou la détection de nappes souterraines. L’idée que le temps ne s’écoule pas de manière uniforme est donc fondamentale dans la relativité.
L’exemple du GPS illustre bien cette réalité : les satellites GPS, en orbite autour de la Terre, sont soumis à des champs gravitationnels différents de ceux sur Terre. Pour que le GPS fonctionne correctement, il est nécessaire de corriger les horloges des satellites en tenant compte de ces différences de gravitation, car sinon les erreurs de positionnement atteindraient plusieurs kilomètres par jour.
Le paradoxe de Fermi et les extraterrestres
Le paradoxe de Fermi est une question qui intrigue depuis longtemps les scientifiques et les philosophes : si la vie extraterrestre existe, pourquoi ne l’avons-nous pas encore rencontrée ? Lachièze-Rey aborde ce paradoxe en expliquant que la probabilité de l’existence de civilisations extraterrestres intelligentes est extrêmement faible, même si l’univers est vaste et contient des milliards de galaxies.
Selon lui, la vie sur Terre est le résultat d’une série d’événements extrêmement improbables, et il est peu probable que les mêmes conditions se soient produites ailleurs. Même si une telle civilisation existait, les chances qu’elle soit capable et désireuse de communiquer avec nous au moment où nous sommes capables de recevoir ses signaux sont infinitésimales. Cela rend l’idée d’un contact avec des extraterrestres hautement improbable.
Les mystères non résolus de la cosmologie
Lachièze-Rey conclut son entretien en soulignant que, malgré les avancées de la cosmologie, de nombreux mystères demeurent. L’un des plus grands mystères est celui de la matière noire, une substance invisible qui constitue une grande partie de la masse de l’univers, mais que nous n’avons toujours pas réussi à détecter directement. Bien que nous ne sachions pas encore ce qu’est cette matière noire, son existence est nécessaire pour expliquer la dynamique des galaxies et des amas de galaxies.
Un autre mystère majeur est celui de l’origine de l’univers. Bien que la théorie du Big Bang soit largement acceptée, ce qui s’est passé dans les premiers instants de l’univers reste inconnu. Certains chercheurs pensent qu’il pourrait y avoir eu un univers antérieur en contraction, qui a rebondi pour former l’univers actuel dans une phase d’expansion.
Enfin, le contenu des trous noirs reste un mystère. Lachièze-Rey évoque la possibilité que les trous noirs pourraient devenir des « trous blancs » à la fin de leur vie, une hypothèse théorique qui reste à confirmer. Ces questions non résolues montrent que la cosmologie est encore une science en pleine évolution, avec de nombreuses découvertes à venir.
Source : OmniScience