Le 5 juillet 2017 à Bangkok, la police thaïlandaise, en collaboration avec le FBI et plusieurs autres agences internationales, arrête un cybercriminel québécois surnommé Alpha02. Derrière ce pseudonyme se cache Alexandre Cazes, créateur et administrateur d’Alphabet, un des plus grands marchés illégaux du dark web. Cazes, à la tête d’un empire criminel numérique, vendait des drogues, des armes et d’autres produits illégaux à des centaines de milliers de clients à travers le monde. Son arrestation marque la fin de l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire de la cybercriminalité.
L’ascension d’Alpha02 : la naissance d’Alphabet
L’histoire d’Alphabet débute en 2014, lorsque Cazes lance ce site sur le dark web, un an après la chute de Silk Road. Silk Road, créé en 2011 par Ross Ulbricht, fut la première plateforme majeure de vente de produits illicites sur le dark web. Ce marché souterrain proposait des drogues, des armes, des cartes de crédit volées, et bien plus encore, tout en assurant l’anonymat des utilisateurs grâce au navigateur Tor et à l’utilisation du Bitcoin. Après l’arrestation d’Ulbricht en 2013, une opportunité s’est créée pour d’autres cybercriminels.
Cazes a su profiter de ce vide en lançant Alphabet, qui est rapidement devenu la plateforme dominante du dark web pour les transactions illégales. Alphabet a dépassé ses concurrents en offrant une interface conviviale, une large gamme de produits, et surtout, des transactions sécurisées via cryptomonnaies. Avec plus de 400 000 utilisateurs et des ventes quotidiennes estimées entre 600 000 et 800 000 dollars, Alphabet est surnommé « l’Amazon de la drogue ». À son apogée, la plateforme comptait 250 000 annonces de drogues et autres produits interdits.
Le début de la traque : l’erreur fatale de Cazes
Alors qu’Alphabet prospérait, les autorités américaines, notamment le FBI et la DEA (Drug Enforcement Administration), ont commencé à enquêter sur ce marché illégal. L’enquête, surnommée « Opération Bayonet », mobilise plusieurs organisations internationales, dont Europol et les forces de l’ordre canadiennes et thaïlandaises. Cependant, le site d’Alphabet, bien sécurisé, ne présentait pas de failles techniques exploitables pour démanteler l’opération.
C’est finalement une erreur commise par Cazes lui-même qui va précipiter sa chute. Lors de la phase de test du site, une adresse email personnelle a été utilisée pour envoyer des messages de récupération de mot de passe. Cette adresse, pimp_alex_91@hotmail.com, liée à Alexandre Cazes, a permis aux autorités de remonter jusqu’à lui. Bien que cette découverte semblait improbable pour un cybercriminel d’une telle envergure, cette négligence a permis de percer son anonymat et de l’identifier formellement.
La capture : un coup monté et coordonné
En 2017, après des mois de surveillance, les autorités mettent en place une opération pour capturer Cazes. Le 5 juillet, une mise en scène est organisée devant sa résidence à Bangkok. Une voiture, conduite par un agent, fait semblant d’avoir un accident contre le portail de sa maison, incitant Cazes à sortir précipitamment de chez lui, laissant son ordinateur portable allumé et déverrouillé. Ce détail est essentiel, car une fois fermé, l’ordinateur crypté devenait impossible à pénétrer.
Les forces de l’ordre thaïlandaises et américaines, cachées aux abords de sa maison, interviennent rapidement pour arrêter Cazes avant qu’il ne puisse verrouiller son ordinateur. Ce dernier est encore connecté à son compte Alpha02 sur Alphabet, fournissant ainsi la preuve directe de son implication. En parallèle, d’autres équipes saisissent les serveurs du site hébergés en Lituanie et perquisitionnent un local lié à Cazes au Québec. Cette arrestation met fin à l’activité d’Alphabet et marque un coup d’éclat pour les autorités internationales dans leur lutte contre le commerce illégal en ligne.
Une double vie entre Québec et Thaïlande
Derrière l’image de cybercriminel se cache un jeune homme originaire de Trois-Rivières, au Québec. Né en 1991, Alexandre Cazes était un enfant prodige en informatique, passionné par les mathématiques et l’informatique dès son plus jeune âge. À seulement 18 ans, il crée sa première entreprise, EBX Technologies, spécialisée dans la vente de logiciels et la réparation d’ordinateurs. Cependant, cette entreprise s’avérera être une façade pour ses activités criminelles sur le dark web.
Cazes a également été l’un des premiers à saisir le potentiel des cryptomonnaies, achetant du Bitcoin dès 2012, à une époque où la monnaie numérique valait seulement quelques dizaines d’euros. Cette vision et ses compétences en programmation lui ont permis de bâtir un empire criminel numérique et d’amasser une immense fortune, qu’il a utilisée pour financer un train de vie luxueux en Thaïlande, où il s’était installé avec sa femme, Sunisa.
Une vie de luxe et d’arrogance
En Thaïlande, Cazes mène une vie de millionnaire. Il possède plusieurs voitures de luxe, dont une Lamborghini et une Porsche, ainsi que des propriétés dans plusieurs pays, comme Chypre, la Thaïlande et Antigua-et-Barbuda. Il achète également des biens immobiliers en utilisant ses gains illicites, investissant dans des paradis fiscaux pour cacher ses fonds aux autorités. Selon les documents découverts après son arrestation, il possédait plus de 18 700 Bitcoins, dont une grande partie a été utilisée pour acheter des propriétés.
Sa femme Sunisa, bien que bénéficiant de ce mode de vie, semble avoir ignoré l’ampleur des activités illégales de son mari. Enceinte de leur enfant au moment de l’arrestation de Cazes, elle continuait de profiter des avantages financiers sans comprendre les risques auxquels ils étaient exposés. Bien que la police ait découvert des preuves de sa complicité, elle ne sera condamnée qu’à une peine légère de prison pour blanchiment d’argent, bénéficiant d’une réduction de peine pour bonne conduite.
La mort mystérieuse d’Alexandre Cazes
Le 12 juillet 2017, soit une semaine après son arrestation, Alexandre Cazes est retrouvé mort dans sa cellule à Bangkok, officiellement suicidé en se pendant avec une serviette. Cette mort suscite de nombreuses interrogations. Sa famille, notamment sa mère, refuse de croire à cette version des faits, arguant qu’il semblait confiant et prêt à se battre lors de ses dernières conversations. Les théories autour de sa mort se multiplient : certains évoquent un assassinat, d’autres un suicide dû à la pression de son extradition imminente vers les États-Unis, où il risquait la prison à vie.
Les vidéos de surveillance de la prison montrent les derniers moments de Cazes, mais les angles de caméra n’ont pas capturé l’instant précis de sa mort, ce qui a alimenté des spéculations. Sa disparition soudaine laisse des zones d’ombre, d’autant plus que les autorités n’ont pas conservé les enregistrements de la scène, une décision jugée suspecte par certains proches et journalistes.
L’héritage et les conséquences d’Alphabet
Malgré sa fermeture, l’impact d’Alphabet reste immense. Sous la direction de Cazes, le site a facilité la vente massive de drogues, contribuant à l’aggravation de la crise des opioïdes aux États-Unis. Les autorités estiment que des centaines de milliers de personnes ont pu accéder à des substances dangereuses via la plateforme, augmentant les risques de dépendance et de décès par overdose.
L’arrestation de Cazes et la fermeture d’Alphabet ont permis de freiner cette économie souterraine, mais de nombreuses autres plateformes similaires continuent d’opérer sur le dark web. De plus, des individus proches de Cazes, notamment un utilisateur connu sous le pseudonyme Disney, auraient tenté de relancer le site après sa chute, ce qui montre que la lutte contre ces plateformes illégales est loin d’être terminée.
Source : Hardisk