En 1977, Carl Bernstein, célèbre journaliste ayant contribué à l’affaire du Watergate, a publié un article dans Rolling Stone affirmant que des centaines de journalistes américains auraient collaboré avec la Central Intelligence Agency (CIA). Ce programme, supposé avoir duré des décennies, aurait impliqué des médias prestigieux comme The New York Times, CBS et Time Inc.. Connue sous le nom d’« Operation Mockingbird » depuis 1979, cette opération reste au cœur de nombreuses spéculations sur son ampleur et son impact.
Les origines et premières révélations
Le terme « Operation Mockingbird » provient de la biographie controversée Katharine the Great de Deborah Davis, centrée sur Katharine Graham, propriétaire du Washington Post. Bien que ce nom ne figure pas dans les documents des années 1970, il est désormais utilisé pour désigner la collaboration présumée entre des journalistes et la CIA.
Les premières révélations remontent à 1973, lorsque William E. Colby, alors directeur de la CIA, a admis que l’agence collaborait avec des journalistes pour collecter des informations et influencer l’opinion internationale. Ces déclarations, relayées notamment par le Washington Star, ont conduit à une enquête parlementaire. En 1977, Carl Bernstein a publié un article approfondi intitulé The CIA and the Media, affirmant que sur une période de 25 ans, environ 400 journalistes avaient exécuté des missions pour l’agence. Il s’agissait de correspondants, de pigistes, mais aussi de rédacteurs et d’éditeurs travaillant pour des organisations comme The New York Times, CBS ou encore Newsweek.
Les activités et objectifs du programme
D’après Bernstein, les liens entre la CIA et les journalistes remontent à la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’Office of Strategic Services (OSS), prédécesseur de la CIA, collaborait étroitement avec les médias. Après la guerre, ces relations se sont poursuivies naturellement, alors que la CIA consolidait son réseau. Au cours des années 1950 et 1960, ces activités ont été renforcées par le contexte de la guerre froide.
Le programme était particulièrement actif en Europe de l’Ouest et en Amérique du Sud. Les journalistes impliqués servaient souvent d’informateurs, transmettant des observations glanées lors d’événements publics ou de réceptions diplomatiques. Parfois, leurs missions étaient plus complexes, allant de la diffusion de désinformation à l’organisation de rencontres stratégiques avec des agents étrangers. Dans certains cas, la CIA finançait directement des agences de presse étrangères, leur fournissant une couverture idéale pour leurs opérations.
Cependant, Bernstein note que la CIA évitait généralement de placer des journalistes en Europe de l’Est, où les risques d’être accusé d’espionnage étaient trop élevés. Là où le programme était actif, il mobilisait une grande diversité de collaborateurs : des correspondants accrédités, des pigistes, mais aussi des éditeurs et des rédacteurs en chef.
Réactions et controverses
Après la publication de l’article de Bernstein, des responsables de la CIA ont reconnu l’existence de collaborations avec des journalistes, tout en minimisant leur portée. Ils ont affirmé qu’entre 40 et 100 journalistes avaient participé à ces activités sur une période de 25 ans, bien loin des 400 évoqués par Bernstein. De nombreux journalistes impliqués ont contesté leur rôle d’« agents », décrivant leurs interactions avec l’agence comme des échanges informels et bénéfiques pour leurs reportages. Certains expliquaient qu’ils fournissaient des informations anecdotiques ou des observations en échange d’analyses détaillées sur leurs zones de couverture.
Un journaliste a expliqué cette relation en ces termes : « Je pouvais leur dire quelque chose comme : “Papa Doc [François Duvalier] a la syphilis, saviez-vous cela ?” et ils le notaient dans leurs fichiers. Je ne considère pas cela comme travailler pour eux… Je pense qu’ils m’ont plus aidé que je ne les ai aidés. »
La CIA, pour sa part, a annoncé en 1976 qu’elle n’entretiendrait plus de relations rémunérées avec des journalistes américains. Toutefois, ces déclarations ont été accueillies avec scepticisme. Les enquêtes parlementaires de l’époque ont souffert de nombreuses lacunes, les documents relatifs à ces activités étant souvent incomplets ou détruits, rendant difficile toute vérification indépendante.
Operation Mockingbird aujourd’hui
Pour certains, le programme se limite aux activités décrites dans les années 1970. Pour d’autres, il s’agissait d’un effort bien plus vaste visant à manipuler les médias nationaux et internationaux pour servir les intérêts de la CIA. Cette théorie a été popularisée par Deborah Davis dans son ouvrage, qui décrivait Operation Mockingbird comme un outil de manipulation massive de l’opinion publique.
En 2024, Robert F. Kennedy Jr. a ravivé le débat en affirmant que le programme existait toujours et servait à manipuler les Américains par le biais des médias. Ces affirmations ont été réfutées par des vérifications de faits, qui n’ont trouvé aucune preuve solide de l’existence actuelle d’un tel programme. ABC News a conclu qu’il n’existait pas d’informations soutenant que des journalistes américains étaient utilisés pour diffuser de la propagande sur le territoire national.
Cependant, des soupçons persistent. Même à l’époque de Bernstein, les activités présumées de la CIA visaient principalement l’étranger, mais des effets collatéraux pouvaient se retrouver dans les médias américains. Ce flou contribue à alimenter la méfiance envers les agences de renseignement et les médias, renforçant l’idée que certaines vérités restent dissimulées.
Un officier de la CIA a déclaré au New York Times en 1977 qu’ils s’attendaient à ce que « le pendule revienne » vers le recrutement de journalistes dans un avenir proche, ajoutant que « [les journalistes] sont mûrs pour la cueillette ».
Source : allthatsinteresting.com