Il existe en Belgique un endroit dont très peu de gens connaissent l’existence, et pourtant, c’est là-bas que commence chaque avancée technologique majeure. Ce n’est ni la Silicon Valley, ni Taïwan. Il s’agit d’un laboratoire de recherche situé dans la paisible ville de Louvain et nommé Imec. C’est ici que se joue l’avenir de l’innovation technologique.
Les géants de la technologie, tels qu’Apple, Nvidia, AMD et TSMC, se tournent vers ce centre de recherche unique au monde pour trouver des solutions aux limites physiques actuelles. Alors que nous entrons dans l’ère de l’angström, où les composants électroniques ne mesurent plus que quelques atomes de large, nous assistons à une véritable révolution : la fin de la conception 2D et la naissance des puces en 3D.
La fin d’un miracle technologique
Au cours des 50 dernières années, nous avons vécu ce que l’on peut qualifier de véritable miracle. Nous avons réussi à doubler le nombre de transistors sur une puce tous les deux ans environ. Pour illustrer cette avancée colossale, il suffit de regarder en arrière : le premier GPU de Nvidia, sorti en 1999, était gravé en 220 nanomètres. Aujourd’hui, la production se fait en 3 nanomètres. En 25 ans, nous avons donc réduit la taille des transistors de plus de 70 fois.
Cependant, cette ère touche à sa fin. Nous butons désormais sur les limites infranchissables de la physique. Les transistors actuels, basés sur la technologie FinFET, deviennent mécaniquement instables à ces échelles minuscules. Ils sont si fins qu’ils peuvent se plier ou se briser lors de la fabrication et la chaleur générée devient ingérable.
L’industrie a trouvé une solution temporaire avec le transistor « Gate-All-Around », dans lequel les structures sont empilées horizontalement pour plus de stabilité. Mais même cette innovation ne fait que repousser l’échéance. L’espace disponible sur la puce s’épuise irrémédiablement.
La révolution verticale : Le CFET
Lorsqu’une ville manque d’espace au sol, elle ne s’arrête pas construire pour autant ; elle construit des gratte-ciels. Imec a appliqué cette même logique aux processeurs. Comme il n’est plus possible de rétrécir en 2D, la seule solution est de se tourner vers la verticalité.
C’est ainsi qu’est née la technologie CFET (Complementary FET). L’idée, d’une simplicité trompeuse sur le papier, consiste à empiler un transistor directement sur un autre. Cette technique permet de doubler immédiatement la densité des transistors sans occuper plus d’espace au sol. Il s’agit là de l’un des défis d’ingénierie les plus complexes de la planète, qui transforme des problèmes de physique impossibles en prototypes fonctionnels qui ne seront intégrés à nos appareils que dans 10 ou 20 ans.
Voyage au cœur de l’invisible
Pénétrer dans les salles blanches d’Imec est une expérience hors du commun. L’environnement y est en effet contrôlé de manière obsessionnelle, car une seule particule de poussière ou un cheveu pourrait détruire une expérience valant des millions de dollars. Pour observer ces structures nanoscopiques, les microscopes optiques traditionnels sont inutiles, car la longueur d’onde de la lumière est trop grande pour « voir » des objets plus petits qu’un virus.
Les ingénieurs utilisent donc des électrons :
- Le microscope électronique à balayage (MEB) bombarde la surface de la puce avec un faisceau d’électrons. Cependant, ce processus est destructeur. Le faisceau chauffe instantanément l’échantillon et peut le détruire en une fraction de seconde.
- Le microscope électronique en transmission (MET) : c’est ici que la magie opère. Après avoir découpé une lamelle de silicium plus fine qu’un brin d’ADN (environ 30 nanomètres), les chercheurs peuvent voir à travers la matière.
Grâce à cet outil, il est possible de visualiser le canal du transistor CFET, cette voie minuscule où circule le courant électrique. À ce niveau de grossissement, on ne voit plus de la matière continue, mais des atomes individuels. Le canal ne fait que 30 atomes d’épaisseur. C’est la limite physique de la réalité qui se dévoile sous nos yeux.
Un défi d’équipement monumental
L’invention d’un nouveau type de transistor ne se limite pas à sa conception. Comme le souligne Serge Biesemans, l’un des responsables d’Imec, la loi de Moore s’applique autant à la capacité des équipements qu’à la physique.
« Si l’outil n’existe pas pour imprimer des motifs plus petits ou pour retirer certains matériaux sans toucher aux autres, vous ne pouvez physiquement pas construire la structure. »
Le CFET a incité les fabricants d’équipements, comme ASML, à développer une toute nouvelle génération de machines. Il faut en effet être capable de graver des structures hautes et étroites sans qu’elles s’effondrent, et d’alimenter la puce en énergie par l’arrière (backside power delivery), une technique qui n’a jamais été réalisée auparavant.
Imec sert de terrain d’essai neutre. L’entreprise reçoit les machines les plus avancées au monde, comme le scanner EUV High-NA (dont le coût unitaire dépasse les 250 millions de dollars), bien avant qu’elles n’arrivent chez Intel ou TSMC. C’est ici que la « recette » de fabrication est perfectionnée.
Au-delà du silicium : L’avenir post-CFET
Le CFET nous offre environ une décennie de répit. Mais que se passera-t-il ensuite ? Pour la première fois de l’histoire des puces, la feuille de route n’est pas claire. Imec explore plusieurs pistes parallèles pour continuer d’augmenter la puissance de calcul tout en réduisant la consommation d’énergie.
La photonique sur silicium
Actuellement, la communication entre les différentes parties d’une puce (ou entre plusieurs puces assemblées) se fait par électricité, ce qui entraîne une production de chaleur et de latence. La solution prometteuse consiste à utiliser la lumière. La photonique sur silicium existe déjà pour les centres de données, mais Imec travaille à la miniaturiser afin de l’intégrer au cœur des processeurs de nos ordinateurs portables et smartphones.
Le cube informatique 3D
L’objectif ultime est de passer de l’empilement de transistors à celui de wafers entiers. Imaginez deux villes empilées parfaitement l’une sur l’autre, en alignant chaque rue. Cela permettrait de créer des cubes de calcul en trois dimensions, réduisant drastiquement les distances de communication et permettant d’utiliser différents matériaux, pas seulement du silicium.
Nouveaux matériaux exotiques
Les chercheurs testent déjà des matériaux susceptibles de remplacer le silicium, comme le graphène, les cristaux 2D ou les nanotubes de carbone. D’une épaisseur de quelques atomes seulement, ces matériaux pourraient obéir à des lois physiques différentes et offrir des performances inédites.
Le point de rencontre mondial
Ce qui rend le modèle d’Imec fonctionnel, c’est sa neutralité. En tant qu’organisation à but non lucratif, elle ne concurrence pas les fabricants, mais collabore avec eux. Elle dispose d’une ligne de production complète dédiée à la recherche, ce qui est unique au monde.
Alors que nous nous demandons souvent d’où viendra la prochaine grande innovation, la réponse se trouve peut-être déjà sur une tranche de silicium expérimentale à Louvain. C’est dans ce laboratoire belge que se construit l’infrastructure invisible qui propulsera l’intelligence artificielle, l’exploration spatiale et nos futurs appareils numériques.
Source : Anastasi In Tech































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