L’économiste Charles Gave livre une analyse sans concession sur la perte de valeur du dollar américain et les bouleversements géopolitiques qui redessinent la carte de l’économie mondiale. Sa vision révèle des transformations profondes qui remettent en question la domination économique et militaire des États-Unis.
La perte du leadership militaire américain
Selon Charles Gave, les États-Unis viennent de perdre une guerre pour la première fois, à cause de l’infériorité de leur armement. La guerre en Ukraine a révélé que l’armement russe était supérieur à celui des Américains dans plusieurs domaines cruciaux : l’artillerie, les drones et surtout les missiles hypersoniques.
Les Russes possèdent désormais des missiles hypersoniques capables d’atteindre dix fois la vitesse du son, ce qui pourrait permettre de couler les douze porte-avions américains en cinq minutes. Cette supériorité technologique marque la fin du leadership militaire américain et de leur capacité à protéger leurs alliés, comme l’a explicitement déclaré Vance à Munich : « Les gars, on ne peut plus vous protéger, débrouillez-vous. »
La fin du monopole pétro-dollar
Un changement encore plus fondamental s’est opéré dans le système monétaire international. La guerre en Ukraine a incité la Russie à vendre son pétrole à l’Inde en roupies, mettant ainsi fin au monopole du paiement du pétrole en dollars, en vigueur depuis l’accord de 1947 entre l’Arabie saoudite et les États-Unis.
Cette rupture historique marque la fin de la domination du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale. Auparavant, tous les pays devaient détenir des dollars non pas pour acheter des produits américains, mais pour acheter de l’énergie. Le système américain fonctionnait ainsi : « Vous me vendez une voiture, je vous donne un billet vert, et avec ce billet vert, vous pouvez aller acheter de l’énergie à l’Arabie saoudite. » Ce privilège impérial est désormais terminé.
L’émergence du bloc asiatique
Un nouvel ordre économique se dessine autour du triangle Moscou-Pékin-New Delhi. En l’espace de quatre ans, les Russes ont développé d’immenses lignes de communication reliant directement la Russie au golfe Persique, avec des liaisons maritimes vers New Delhi.
Pour la première fois de son histoire, l’Inde a accès à toutes les matières premières du nord de l’Himalaya et peut les payer dans sa propre monnaie. Cette transformation annonce un boom économique dans l’océan Indien, financé non pas par le dollar, mais par des pays excédentaires comme la Russie et la Chine. Dans cette nouvelle configuration, Hong Kong est appelé à devenir le centre financier mondial, reléguant Wall Street au second plan.
La réindustrialisation forcée des États-Unis
Face à la perte de leur privilège impérial, les États-Unis n’ont d’autre choix que de se réindustrialiser rapidement. Lorsqu’on dirige un empire, la monnaie impériale permet de payer avec du papier. Mais une fois redevenus un État-nation comme les autres, ils doivent échanger « bien contre bien » et reconstruire l’industrie qu’ils ont laissée filer pendant leurs années d’hégémonie.
Cette nécessité explique le retour au protectionnisme. Contrairement à la période impériale, les déficits extérieurs ont désormais des conséquences directes sur la politique économique américaine.
Les vrais objectifs des tarifs douaniers de Trump
Charles Gave révèle que les droits de douane de Trump visent principalement les grandes multinationales américaines qui échappent à l’impôt grâce à des montages comptables internationaux. L’exemple d’Apple est révélateur : l’entreprise fabrique ses téléphones en Chine pour 100 euros, puis les vend d’abord à l’Irlande, où l’impôt sur les sociétés n’est que de 2 %, au lieu de les vendre directement aux États-Unis, ce qui générerait 270 euros d’impôts sur un profit de 900 euros.
Avec les nouveaux tarifs, ces multinationales devront payer 25 à 30 % de droits de douane sur leurs importations depuis l’Irlande vers les États-Unis. Ces mesures constituent donc une augmentation déguisée de l’impôt sur les grandes sociétés américaines qui profitaient du système comptable mondial pour échapper au fisc.
Capitalisme de connivence vs libéralisme
L’économiste dénonce vigoureusement l’amalgame entre le système économique actuel et le véritable libéralisme. Selon lui, nous ne vivons pas dans un régime de libre-échange, mais dans un capitalisme de connivence qui favorise les grandes entreprises au détriment des petites, grâce au contrôle qu’elles exercent sur les États.
Pour qu’il y ait véritablement libéralisme, il faut remplir des conditions précises : l’étalon-or, l’absence de déficits budgétaires, la non-intervention des États sur les taux d’intérêt et les taux de change. Or, ces conditions ne sont pas réunies depuis des décennies, ce qu’on appelle « libéralisme » n’en est donc pas un.
Les défis intérieurs américains
Les États-Unis sont confrontés à une crise budgétaire majeure héritée de l’administration de Joe Biden. Les trois principaux postes de dépenses sont difficilement compressibles, à l’exception des fraudes au sein du système de sécurité sociale, que Elon Musk est chargé d’identifier et d’éliminer.
Cette mission s’annonce délicate, car ces « fraudes » constituent en réalité l’économie de Washington, une ville dont l’immobilier est le plus cher des États-Unis, non pas grâce au travail de ses habitants, mais à cause de la corruption généralisée de son système.
L’analyse de Charles Gave brosse le portrait d’un monde en profonde mutation, où la domination américaine laisse place à un système multipolaire centré sur l’Asie. Cette transition s’accompagne de transformations économiques majeures qui redéfinissent les équilibres géopolitiques mondiaux et annoncent la fin d’une époque pour le système monétaire international.