Les chevaux sauvages en voie de disparition reviennent aujourd’hui dans les steppes du Kazakhstan pour la première fois depuis 200 ans. Ces animaux, autrefois déclarés éteints à l’état sauvage, réapparaissent grâce à un programme de réintroduction sans précédent. La Chine, en particulier, a stupéfié la communauté scientifique en relâchant un troupeau de chevaux de Przewalski dans l’un de ses déserts les plus inhospitaliers. Là où certains experts parlaient de folie, la nature a répondu avec éclat.
Le dernier cheval sauvage
En 1969, un garde-frontière mongol repéra un étalon solitaire dans la steppe. Ce fut la dernière observation confirmée d’un cheval de Przewalski à l’état sauvage. Cette espèce, appelée Taki ou « cheval esprit », avait peu à peu disparu. Jamais complètement domestiquée, elle s’était effacée, discrètement, victime de la pression humaine, de la chasse et de la destruction de son habitat.
Tout aurait pu s’arrêter là. Seuls 12 chevaux génétiquement distincts avaient survécu en captivité. Mais au lieu d’abandonner, les zoos du monde entier unirent leurs efforts. En 1959, le stud-book international fut lancé, permettant une gestion coordonnée des lignées. Grâce à des transports aériens complexes, des accouplements minutieusement planifiés et une coopération internationale, la population capturée passa à plus de 1000 individus en 1980.
La Chine entre en scène
En 1985, le ministère chinois des Forêts choisit un coin désertique du comté de Jimsar, dans le Xinjiang, pour réintroduire les chevaux. Le terrain était rude, mais authentique. Entre 1985 et 2005, 24 chevaux arrivèrent de zoos britanniques, allemands et américains. Transportés dans des avions cargo Illiouchine 76, ils furent acclimatés progressivement : régimes à base d’herbe locale, simulation de prédateurs grâce à des excréments de loups, et quarantaines rigoureuses.
En 2001, l’étape décisive fut franchie : les chevaux furent relâchés dans le désert de Kalamaili. Aucun filet de sécurité, aucune surveillance intrusive. En trois jours, ils avaient découvert une source inconnue des rangers. L’instinct reprenait ses droits.
Créer une banque génétique vivante
À Jimsar, la Chine n’a pas construit un simple centre d’élevage, mais une banque génétique vivante. Chaque printemps, les groupes sont réorganisés : les étalons changent de prairie, les femelles sont redistribuées. Ce système, renforcé par un logiciel génétique sophistiqué surnommé en plaisantant « Tinder équin », permet de maintenir une diversité génétique optimale. Résultat : le taux de consanguinité a baissé de 40 % en quelques années.
Côté comportemental, les poulains apprennent à craindre les loups, à éviter les humains. Des loups muselés sont même utilisés pour entraîner leur vigilance. La réintroduction ne vise pas seulement la survie : elle recrée une espèce sauvage, capable d’affronter la réalité du désert.
Le désert comme professeur
Le site de Kalamaili n’a pas été choisi par hasard. Étés à 42°C, hivers à -30°C, moins de 30 plantes comestibles… c’était un véritable parcours du combattant. Et pourtant, les chevaux ont non seulement survécu, mais aussi appris à cohabiter avec les koulan, ânes sauvages bien établis. Plutôt que de se battre pour l’eau, les chevaux leur laissèrent la priorité. Une forme de diplomatie animale spontanée.
Les loups sauvages ont ensuite testé leur résilience. Trois étalons furent tués la première année. Mais les scientifiques y virent un signe : les chevaux s’intégraient dans la chaîne trophique locale.
Même la végétation en a bénéficié : les zones broutées modérément par les chevaux virent une amélioration de la diversité florale, avec des herbes ancrant mieux le sol contre l’érosion.
Vers un avenir plus vaste
Le projet ne s’est pas arrêté là. En 2021, la Chine lança le « Projet Trois Étoiles », visant trois populations de chevaux totalement autonomes d’ici 2035. Des groupes furent transférés à la réserve de la montagne de Daqing dans la Mongolie-Intérieure, puis dans le corridor du Hexi au Gansu. Chaque relâchement est une leçon en logistique, écologie et comportement. À Daqing, les juments menèrent les groupes dans les fourrés, modifiant les modèles d’alimentation. À Gansu, la proximité d’une autoroute n’empêcha pas les chevaux de s’adapter.
Le Kazakhstan, lui aussi, a rejoint le projet. En 2024, il accueillait ses premiers chevaux revenus du passé, dans une initiative de réconciliation écologique.
Aujourd’hui, la Chine compte près de 400 chevaux sauvages. L’objectif des trois populations viables est à portée.
Révélations génétiques
En 2018, le biologiste Ludovic Orlando fit une découverte étonnante : les chevaux de Przewalski ne sont pas les derniers chevaux véritablement sauvages, mais des descendants de chevaux domestiqués par les Botai, il y a 5000 ans. Loin de remettre en question le projet, cette révélation renforça son importance. L’Union internationale pour la conservation de la nature maintint leur statut d’espèce en danger, insistant sur leur valeur écologique plus que sur leur pureté génétique.
Les analyses génétiques menées au Xinjiang confirmèrent la diversité du cheptel : six lignées maternelles, une diversité génétique équivalente à celle des zèbres et une immunité renforcée contre les parasites grâce à une grande variété d’allèles MHC.
Les analyses du microbiote intestinal révélèrent une capacité exceptionnelle à digérer les herbes sèches du désert. Ces chevaux ne sont pas simplement adaptés : ils sont taillés pour ce nouvel environnement.
Ce qui était un pari fou est devenu un modèle. Et bientôt, de nouveaux troupeaux fouleront d’autres régions oubliées de Chine.
Source : Incredible Stories