Les LED ne tirent pas leur couleur de leurs enveloppes plastiques. La preuve en est cette LED transparente qui émet également une lumière rouge. La couleur provient directement des composants électroniques, l’enveloppe servant uniquement à distinguer les différents types de LED.
En 1962, l’ingénieur de General Electric Nick Holonyak créait la première LED visible, émettant une faible lueur rouge. Quelques années plus tard, les ingénieurs de Monsanto développaient une LED verte. Pendant des décennies, seules ces deux couleurs existaient, limitant l’usage des LED aux indicateurs, calculatrices et montres.
La création d’une LED bleue aurait tout changé. En mélangeant rouge, vert et bleu, il devenait possible de produire du blanc et toutes les autres couleurs, ouvrant la voie à l’éclairage LED universel : ampoules, téléphones, ordinateurs, téléviseurs, panneaux publicitaires. Mais le bleu semblait impossible à obtenir.
Une quête industrielle de trente ans
Dans les années 1960, toutes les grandes entreprises électroniques mondiales – IBM, GE, Bell Labs – se lancèrent dans la course à la LED bleue. Elles savaient que l’enjeu se chiffrait en milliards. Malgré les efforts de milliers de chercheurs, aucune solution n’émergea. Dix ans après la LED originale de Holonyak devinrent vingt, puis trente, et l’espoir d’utiliser les LED pour l’éclairage s’amenuisait.
Selon un directeur de Monsanto, ces dispositifs ne remplaceraient jamais l’éclairage domestique, restant cantonnés aux appareils électroménagers et tableaux de bord automobiles. Cette prédiction aurait pu s’avérer exacte sans l’intervention d’un ingénieur qui défia l’industrie entière.
Shūji Nakamura : l’outsider déterminé
Shūji Nakamura travaillait pour Nichia, une petite entreprise chimique japonaise qui s’était diversifiée dans la production de semi-conducteurs pour LED rouges et vertes. Fin des années 1980, cette division périclitait face à la concurrence d’entreprises bien établies. Les tensions montaient : les jeunes employés suppliaient Nakamura de créer de nouveaux produits tandis que les anciens qualifiaient ses recherches de gaspillage.
Son laboratoire se composait principalement de machines récupérées et soudées par ses soins. Les fuites de phosphore provoquaient tant d’explosions que ses collègues avaient cessé de venir aux nouvelles. En 1988, ses superviseurs lui conseillèrent d’abandonner.
C’est dans ce contexte désespéré qu’il présenta une proposition radicale au fondateur et président Nobuo Ogawa : et si Nichia réussissait là où Sony, Toshiba et Panasonic avaient échoué ? Après plus d’une décennie de pertes sur les semi-conducteurs, Ogawa paria 500 millions de yens (3 millions de dollars), soit environ 15% du bénéfice annuel de l’entreprise.
Le fonctionnement des LED
Les LED surpassent les ampoules à incandescence car ces dernières, symbole universel des bonnes idées, excellent paradoxalement à produire de la chaleur plutôt que de la lumière. Elles fonctionnent en faisant passer un courant dans un filament de tungstène qui chauffe jusqu’à l’incandescence, mais la majeure partie du rayonnement électromagnétique sort sous forme d’infrarouge.
Une LED (Light Emitting Diode) crée principalement de la lumière, d’où son efficacité supérieure. Une diode est un dispositif à deux électrodes qui ne laisse passer le courant que dans un sens.
Dans un atome isolé, chaque électron occupe un niveau d’énergie discret, comparable aux sièges individuels d’un stade. Quand plusieurs atomes s’assemblent pour former un solide, les électrons périphériques ressentent l’attraction de tous les noyaux, créant des bandes d’énergie : la bande de valence (la plus haute occupée par les électrons) et la bande de conduction (niveau supérieur).
Dans les conducteurs, la bande de valence n’est que partiellement remplie, permettant aux électrons de se déplacer facilement. Dans les isolants, elle est pleine et l’écart énergétique vers la bande de conduction est trop important. Les semi-conducteurs présentent un écart réduit, permettant à quelques électrons d’atteindre la bande de conduction à température ambiante.
La première percée : la maîtrise des cristaux
Pour améliorer les propriétés des semi-conducteurs, on y ajoute des atomes d’impuretés par dopage. Dans le silicium dopé au phosphore, les électrons supplémentaires créent un semi-conducteur de type n (négatif). Avec du bore, on obtient du type p (positif) grâce aux « trous » laissés par les électrons manquants.
L’assemblage p-n forme une diode. Quand un électron tombe de la bande de conduction dans un trou de la bande de valence, l’énergie libérée peut être émise sous forme de photon. La taille de l’écart énergétique détermine la couleur : plus l’écart est grand, plus l’énergie du photon est élevée, passant de l’infrarouge au rouge, vert, puis bleu.
Nakamura comprit qu’une LED bleue exigeait un cristal quasi parfait. Tout défaut dans la structure cristalline perturbait le flux d’électrons, dissipant l’énergie sous forme de chaleur plutôt qu’en lumière visible.
Il partit en Floride maîtriser la technologie MOCVD (Metal Organic Chemical Vapor Deposition), un four géant optimal pour produire des cristaux propres en masse. Cette technique injecte des molécules vapeur dans une chambre chaude où elles réagissent avec un substrat pour former des couches, parfois de quelques atomes seulement.
Son séjour fut difficile : relégué à assembler un nouveau système pendant dix mois sur douze, méprisé par ses collègues doctorants qui le considéraient comme un simple technicien. Cette expérience alimenta sa détermination.
Le choix du matériau et l’invention du réacteur à double flux
De retour au Japon en 1989, Nakamura devait choisir entre deux candidats : le séléniure de zinc et le nitrure de gallium. Le premier semblait plus prometteur avec seulement 0,3% de désaccord de maille avec son substrat, générant environ mille défauts par centimètre carré. Son seul problème : l’impossibilité de créer du type p.
Le nitrure de gallium paraissait désespéré. Cultivé sur saphir, il présentait 16% de désaccord de maille, créant plus de 10 milliards de défauts par centimètre carré. Comme le séléniure de zinc, seul le type n était maîtrisé. De plus, aucun prototype n’avait jamais atteint les mille microwatts nécessaires à la viabilité commerciale.
Nakamura choisit le nitrure de gallium précisément parce que la concurrence y était moins féroce. Aux conférences, les présentations sur le séléniure de zinc attiraient 500 participants, celles sur le nitrure de gallium seulement cinq.
Après six mois d’échecs, il démonta son réacteur MOCVD pour le reconstruire. Suivant une routine implacable – laboratoire de 7h à 19h, soudage et modification le matin, expériences l’après-midi, tous les jours sauf le Nouvel An – il persévéra pendant un an et demi.
L’hiver 1990 apporta la récompense : un échantillon de nitrure de gallium avec une mobilité électronique quatre fois supérieure à tout ce qui avait été obtenu. Son innovation consistait en un second injecteur libérant un flux descendant de gaz inerte, plaquant le premier flux au substrat pour former un cristal uniforme. Contrairement aux craintes des scientifiques, ce « réacteur à double flux » maintenait des écoulements laminaires.
Les obstacles politiques et la percée du type p
Pendant l’absence de Nakamura, Nobuo Ogawa avait cédé la direction à son gendre Eji Ogawa, homme à l’esprit rigide. En 1990, un cadre de Matsushita déclara lors d’une conférence que « le nitrure de gallium n’a pas d’avenir ». Le jour même, Eji ordonna à Nakamura d’arrêter ses recherches.
Nakamura froissa la note et la jeta. Il répéta ce geste à chaque nouvelle injonction, publiant même ses travaux sur le réacteur à double flux sans autorisation. C’était son premier article scientifique.
Pour le défi du type p, les universitaires Akasaki et Amano avaient créé du nitrure de gallium dopé au magnésium qui ne fonctionnait qu’après exposition à un faisceau d’électrons. Nakamura soupçonna que seule l’énergie importait et testa un simple chauffage à 400°C. Le résultat surpassa l’irradiation électronique, révélant que les atomes d’hydrogène de l’ammoniac (source d’azote) bloquaient les trous en se liant au magnésium. La chaleur libérait l’hydrogène, restaurant les propriétés du type p.
La LED bleue parfaite
En 1992, Nakamura présenta son prototype à Saint-Louis et reçut une ovation debout. Malgré ce succès, sa LED bleu-violet n’atteignait que 42 microwatts, loin du seuil commercial. Eji lui ordonna de commercialiser ce qu’il avait, mais Nakamura ignora encore ces directives.
Pour franchir le dernier obstacle, il devait créer une « fontaine quantique » – une fine couche de nitrure d’indium-gallium réduisant l’écart énergétique pour faciliter la recombinaison électron-trou. Alors qu’Akasaki et Amano butaient sur l’incompatibilité supposée entre nitrure de gallium et nitrure d’indium, Nakamura utilisa la force brute, modifiant son réacteur pour injecter un maximum d’indium.
La technique fonctionna, mais la fontaine débordait d’électrons. Il créa alors une « barrière » de nitrure d’aluminium-gallium, matériau à large bande interdite empêchant les fuites électroniques.
En 1992, Shūji Nakamura tenait enfin sa LED bleue parfaite : 1 500 microwatts à exactement 450 nanomètres, cent fois plus brillante que les pseudo-bleues existantes et visible en plein jour.
Le succès et l’injustice
L’annonce de Nichia stupéfia l’industrie électronique. Les commandes affluèrent : 1 million de LED bleues par mois fin 1994, chiffre d’affaires doublé en trois ans. En 1996, l’entreprise lançait la première LED blanche en ajoutant un phosphore jaune qui réémettait la lumière bleue sur tout le spectre visible.
En 2001, Nichia approchait 700 millions de dollars de revenus annuels, dont 60% provenaient des produits LED bleues. Aujourd’hui, c’est l’un des plus grands fabricants mondiaux avec des milliards de revenus.
Nakamura, artisan de cette fortune, ne reçut qu’une augmentation de salaire à 60 000 dollars et 170 dollars de prime par brevet. En 2000, après vingt ans chez Nichia, il partit aux États-Unis. L’entreprise le poursuivit pour divulgation de secrets, il contre-attaqua pour compensation insuffisante. Après un long combat judiciaire, il obtint 8 millions de dollars, juste de quoi couvrir ses frais d’avocat.
Une révolution mondiale
L’invention de Nakamura a créé une industrie de 80 milliards de dollars. Les LED équipent aujourd’hui téléphones, ordinateurs, téléviseurs, feux de circulation et éclairage public. Comparées aux ampoules à incandescence ou fluorescentes, elles sont infiniment plus efficaces, durables, sûres et personnalisables.
La révolution est spectaculaire : 1% des ventes d’éclairage résidentiel mondial en 2010, plus de la moitié en 2022. D’ici dix ans, presque toutes les ventes seront des LED. L’économie d’énergie sera énorme : l’éclairage représentant 5% des émissions carbone mondiales, la généralisation des LED pourrait économiser 1,4 milliard de tonnes de CO2, équivalant au retrait de la moitié des voitures mondiales.
En 2014, Nakamura, Akasaki et Amano recevaient le prix Nobel de physique. Nakamura avait également obtenu son doctorat grâce à ses quinze publications et en compte aujourd’hui plus de 900. Il travaille désormais sur les micro-LED, les LED UV pour la stérilisation, et même la fusion nucléaire.
Sa couleur préférée reste le bleu, comme l’océan de son village natal de pêcheurs. Ce qui le distinguait des milliers de chercheurs n’était pas tant ses connaissances que sa détermination, son esprit critique et ses capacités de résolution de problèmes. Là où d’autres voyaient des impasses, il percevait des solutions potentielles.
Source : Veritasium