Le 19 avril 2012, lors d’une conférence sur la maladie de Parkinson à Édimbourg, le biologiste spécialiste des cellules souches Tilo Kunath venait de terminer son intervention. Au fond de la salle, une femme s’est levée pour poser une question qui allait changer le cours de la recherche médicale. Elle s’appelait Joy Milne et sa question était si étrange que le professeur a d’abord cru l’avoir mal comprise.
Infirmière de profession, Joy Milne a demandé si des recherches étaient menées pour comprendre pourquoi les personnes atteintes de la maladie de Parkinson avaient une odeur différente. Tilo Kunath a d’abord pensé qu’elle faisait référence à la perte d’odorat, un symptôme connu de la maladie. Mais non, Joy parlait de l’odeur émise par les patients eux-mêmes. Elle affirmait toutefois que la maladie avait altéré l’odeur naturelle de son mari, Les.
Un changement d’odeur imperceptible pour le commun des mortels
Selon Joy, qui prétendait avoir un odorat particulièrement développé, son mari avait toujours une odeur masculine distincte. Cependant, après avoir développé la maladie de Parkinson, cette signature olfactive avait été remplacée par une odeur musquée et tenace beaucoup moins agréable. La question de Joy a pris le scientifique au dépourvu. À sa connaissance, les malades ne sentaient ni meilleur ni pire que quiconque.
Pourtant, cette théorie étrange est restée dans l’esprit de Kunath. Joy n’avait pas l’air d’une illuminée ; elle avait l’attitude pragmatique d’une professionnelle de santé. Ce qui a marqué le chercheur, c’est la conviction absolue de cette femme. Quelques mois plus tard, il a sollicité l’avis de Perdita Barran, une collègue chimiste analytique. Bien qu’il restait sceptique, il savait que des chiens étaient capables de détecter certains cancers à l’odeur. Si un chien pouvait le faire, pourquoi pas un être humain doté d’une sensibilité exceptionnelle ?
L’expérience des t-shirts : un test à l’aveugle
Pour vérifier les dires de Joy, les scientifiques ont mené une expérience rigoureuse. Ils ont rassemblé douze participants : six personnes atteintes de la maladie de Parkinson et six personnes en bonne santé constituant le groupe témoin. Chaque participant a dû porter un t-shirt blanc propre pendant 24 heures, sans utiliser de déodorant ni de parfum, afin que le vêtement s’imprègne uniquement de leur odeur corporelle naturelle.
Les t-shirts ont ensuite été coupés en deux, ensachés, puis présentés à Joy. Sa tâche était simple : renifler chaque échantillon et déterminer si la personne était malade ou non. Il s’agissait d’une étude en double aveugle, ce qui signifie que ni Joy ni les chercheurs ne connaissaient l’origine des t-shirts au moment du test.
Les résultats ont stupéfait l’équipe scientifique. Elle a correctement identifié les six patients atteints de la maladie de Parkinson. Cependant, il y avait un problème : elle avait également identifié un membre du groupe témoin comme étant malade. Elle n’a commis qu’une seule erreur sur douze, un « faux positif ». Malgré ce score impressionnant de plus de 90 %, un doute subsistait. Joy avait-elle simplement eu de la chance ?
Le coup de théâtre qui a validé le super-pouvoir
L’histoire aurait pu s’arrêter là, faute de financement et en raison du scepticisme de la communauté scientifique face à ce résultat imparfait. Mais, huit mois plus tard, le hasard a provoqué un rebondissement spectaculaire.
Le professeur Kunath a en effet croisé Bill, le participant du groupe témoin que Joy avait initialement identifié comme malade. Celui-ci lui a annoncé une nouvelle choquante : on venait de lui diagnostiquer la maladie de Parkinson. Joy ne s’était pas trompée. Son odorat avait détecté la maladie des mois avant qu’elle ne soit diagnostiquée par la médecine moderne. En réalité, Joy avait réalisé un sans-faute : 12 sur 12.
Cette révélation était monumentale. En 1982, alors qu’il n’avait que 31 ans, Joy avait remarqué le changement d’odeur chez son mari. Il a fallu attendre 12 ans pour qu’il soit officiellement diagnostiqué. Elle avait donc perçu les signes avant-coureurs plus d’une décennie avant l’apparition des symptômes moteurs classiques.
La science derrière l’odeur : le sébum comme clé
Forts de cette confirmation, les chercheurs ont obtenu les financements nécessaires pour comprendre ce que Joy sentait réellement. Contrairement à ce que l’on pensait initialement, l’odeur ne provenait pas de la sueur, mais du sébum, une substance huileuse produite par les glandes sébacées pour protéger la peau. Joy indiquait que l’odeur était plus forte au niveau du cou et du haut du dos, des zones riches en sébum.
Grâce à la chromatographie en phase gazeuse et à la spectrométrie de masse, l’équipe de Perdita Barran a analysé des échantillons de sébum de milliers de patients. Ils ont identifié trois composés présents à des niveaux significativement élevés chez les malades :
- L’eicosane
- L’acide hippurique
- L’octadécanal
Joy a confirmé que ces composés correspondaient à la signature olfactive qu’elle percevait. Cette découverte a permis de développer un test cutané simple (un écouvillon passé sur la peau) qui, lors des premiers essais en laboratoire, a démontré une précision de 97 % pour diagnostiquer la maladie.
Une révolution pour le diagnostic précoce
Cette découverte est capitale. L’un des plus grands obstacles au traitement de la maladie de Parkinson est en effet qu’elle est presque toujours détectée tardivement. Les symptômes visibles, comme les tremblements, n’apparaissent en effet que lorsque 60 à 80 % des neurones producteurs de dopamine de la substance noire du cerveau sont déjà détruits. À ce stade, les dommages sont irréversibles.
La possibilité de détecter la maladie des années, voire des décennies plus tôt grâce à un simple test cutané pourrait révolutionner non seulement le diagnostic, mais aussi le développement de traitements préventifs susceptibles de ralentir, voire d’arrêter la progression de la maladie avant qu’elle ne cause des dommages irréversibles.
Le fardeau d’un don exceptionnel
Il est désormais incontestable que Joy souffre (ou bénéficie) d’une hyperosmie, c’est-à-dire d’une sensibilité olfactive extrême. Mais ses capacités ne se limitent pas à la maladie de Parkinson. À ce jour, elle a démontré sa capacité à détecter d’autres pathologies graves par l’odeur, telles que :
- la maladie d’Alzheimer ;
- la tuberculose ;
- le cancer ;
- le diabète.
Cependant, comme le dit l’adage, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Joy est devenue une figure importante dans le monde de la recherche médicale, mais elle porte aussi un lourd fardeau moral. Lorsqu’elle croise des gens dans la rue ou lors de ses voyages, il lui arrive de sentir l’odeur caractéristique d’une maladie incurable sur eux.
Face à ce dilemme éthique, la question se pose : faut-il annoncer à un inconnu qu’il souffre peut-être d’une maladie grave, comme Alzheimer, pour laquelle il n’existe aucun remède connu ? — Joy a choisi le silence. Elle a décidé qu’elle n’avait pas le droit d’imposer cette connaissance terrifiante à des personnes qui ne l’avaient pas demandée. Elle garde pour elle ce savoir, consciente que ces personnes seront confrontées à de grandes souffrances dans le futur.
Son mari, Les, est décédé en 2015. De cette tragédie personnelle et des années difficiles passées aux côtés de la maladie, elle a tiré une découverte qui offre aujourd’hui un immense espoir pour la médecine de demain.
Source : Thoughty2































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