La première carte complète du génome de l’ornithorynque a d’être publiée en 2021, et elle est aussi bizarre que ce que l’on pourrait attendre d’une créature dotée de 10 chromosomes sexuels, d’une paire d’éperons venimeux, d’une fourrure fluorescente et d’une peau qui « transpire » du lait.
L’ornithorynque à bec de canard est véritablement l’une des créatures les plus étranges sur Terre. Avec l’échidné épineux, ces deux animaux australiens appartiennent à un groupe très spécialisé de mammifères, connu sous le nom de monotrèmes, qui pondent des œufs mais allaitent aussi leurs petits avec du lait. Les gènes des deux animaux sont relativement primitifs et inchangés, révélant une combinaison bizarre de plusieurs classes de vertébrés, dont des oiseaux, des reptiles et des mammifères.
Aussi différent que l’ornithorynque puisse paraître à première vue, ce sont ces différences mêmes qui révèlent nos similitudes et notre ascendance commune avec les autres vertébrés de la Terre. Les scientifiques pensent que son génome pourrait nous révéler des secrets sur notre propre évolution et comment nos ancêtres mammifères sont passés de la ponte d’œufs à la naissance vivipare.
Déconstruction du génome de l’ornithorynque
« Le génome complet nous a fourni les réponses sur l’émergence de quelques-unes des caractéristiques bizarres de l’ornithorynque », explique Guojie Zhang, biologiste de l’évolution à l’Université de Copenhague. « En même temps, le décodage du génome de l’ornithorynque est important pour améliorer notre compréhension de l’évolution d’autres mammifères – y compris nous, les humains. »
Au cours des années précédentes, une partie du génome d’une femelle ornithorynque avait été séquencée, mais sans les séquences du chromosome Y, beaucoup d’informations manquaient. En utilisant un mâle ornithorynque, les chercheurs ont maintenant créé une carte physique avec un génome d’ornithorynque hautement précis.
L’évolution des mammifères
Les mammifères vivants sont aujourd’hui répartis en trois groupes : les monotrèmes, les marsupiaux et les euthériens (aussi appelés placentaires). Les humains appartiennent à ce dernier groupe. Ensemble, les deux derniers forment une sous-classe connue sous le nom de mammifères thériens. Les mammifères thériens donnent tous naissance à des petits vivants (contrairement aux animaux qui pondent des œufs), mais les monotrèmes sont simplement trop différents pour être classés dans ce groupe.
Il n’est toujours pas clair quand ces trois groupes distincts ont commencé à diverger les uns des autres. Certains pensent que les monotrèmes se sont séparés en premier, suivis des marsupiaux et des euthériens. D’autres pensent que les trois groupes ont divergé à peu près en même temps. Le génome de l’ornithorynque a maintenant aidé à clarifier certaines de ces dates. Les données collectées sur les lignées d’échidnés et d’ornithorynques suggèrent que leur dernier ancêtre commun a vécu il y a jusqu’à 57 millions d’années. Pendant ce temps, les monotrèmes dans leur ensemble semblent s’être séparés des marsupiaux et des euthériens il y a environ 187 millions d’années.
Les chromosomes sexuels de l’ornithorynque
Les auteurs étaient particulièrement intéressés par les chromosomes sexuels de l’ornithorynque, qui semblent avoir une origine indépendante de ceux des autres mammifères thériens, tous dotés d’une simple paire XY. L’ornithorynque, cependant, est le seul animal connu doté de 10 chromosomes sexuels (les échidnés en ont neuf). Les ornithorynques possèdent 5 chromosomes X et 5 chromosomes Y organisés en anneau, qui semble s’être fracturé en morceaux au cours de l’évolution mammalienne.
En comparant cette information chromosomique avec celle des humains, des opossums, des diables de Tasmanie, des poulets et des lézards, les auteurs ont constaté que les chromosomes sexuels de l’ornithorynque ont plus en commun avec ceux des oiseaux comme les poulets que des mammifères tels que les humains.
Produire du lait et pondre des œufs
Cependant, bien que les ornithorynques pondent des œufs comme les poulets, ils nourrissent leurs petits avec du lait comme les mammifères thériens. Il n’est donc pas trop surprenant que les génomes de monotrèmes contiennent la plupart des gènes de lait que possèdent les autres mammifères thériens. Les gènes de caseine aident à coder certaines protéines dans le lait des mammifères, mais les monotrèmes semblent avoir des caséines supplémentaires aux fonctions inconnues. Cela dit, leur lait n’est pas très différent de celui d’une vache ou même d’un humain en période de lactation.
En conséquence, l’ornithorynque n’a probablement pas autant besoin des protéines contenues dans les œufs que les autres espèces d’oiseaux et de reptiles, car il peut plus tard nourrir ses petits grâce aux glandes lactées de sa peau. Son génome soutient cette idée. Alors que les oiseaux et les reptiles dépendent de trois gènes encodant les protéines majeures de l’œuf, l’ornithorynque semble avoir perdu la majorité de ces gènes il y a environ 130 millions d’années. Les poulets, aujourd’hui, possèdent tous les trois gènes protéiques de l’œuf, les humains n’en ont aucun, et l’ornithorynque n’a plus qu’une seule copie fonctionnelle restante.
L’ornithorynque est un étrange intermédiaire, et son génome est une sorte de pont vers notre propre passé évolutif. « Il nous informe que la production de lait chez toutes les espèces de mammifères vivants a été développée à travers le même ensemble de gènes dérivés d’un ancêtre commun qui vivait il y a plus de 170 millions d’années – aux côtés des premiers dinosaures à l’époque jurassique », explique Zhang.
Les dents et les caractéristiques venimeuses
Le génome complet a également révélé la perte de quatre gènes associés au développement des dents, qui ont probablement disparu il y a environ 120 millions d’années. Pour manger, l’ornithorynque utilise maintenant une paire de plaques en forme de corne pour broyer sa nourriture.
Les éperons venimeux sur ses pattes arrière peuvent peut-être s’expliquer par les gènes de défensine de la créature, associés au système immunitaire chez d’autres mammifères, et semblent donner naissance à des protéines uniques dans leur venin. Les échidnés, qui ont également fait l’objet d’un séquençage complet de leurs génomes, semblent avoir perdu ce gène clé du venin.
Conclusion des chercheurs
Les auteurs affirment que leurs résultats représentent « certaines des caractéristiques biologiques les plus fascinantes de l’ornithorynque et de l’échidné ». « Les nouveaux génomes des deux espèces permettront des études plus approfondies sur les innovations thériennes ainsi que sur la biologie et l’évolution de ces extraordinaires mammifères pondeurs d’œufs », concluent-ils.
L’étude a été publiée dans la revue Nature.
Source : www.sciencealert.com